🎙 Interview - Trouver les mots face à l’indicible - avec Pauline, médecin en soins palliatifs
L’interview BILS qui peut tout/vous changer.
Dear you, je suis Marie et j’ai créé Bend it Like Socrate pour vous aider à traduire votre identité en mots convaincants, touchants et activateurs de bon, de beau et de bien.
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Edition BILS #28
🎙 Interview « Trouver les mots face à l’indicible »
> Pilier BILS au 💙 de l’édition :
LES MOTS
> par : Marie
Bend it Like Socrate,
Chartes Editoriales BILS I Coaching individuel mensuel I Livre BILS
> avec notre invitée : Pauline
Médecin en soins palliatifs à domicile
> Lire les 1850 mots ci-dessous 👇
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Vous pouvez aussi lire ce bel échange directement dans votre navigateur :)
L’EDITO
Nous sommes reliés par une réalité universelle.
Nos vies sont uniques et nos êtres singuliers, mais leur issue est commune. Ce sujet refroidissant qu’est la mort mérite d’être nommé.
Parce que je crois que ce qui est nommé est plus doux que ce qui est chassé ou refoulé.
Nous n’avons pas de prise sur la fin de notre vie mais nous avons le pouvoir d’agir sur notre vie elle-même.
Sur notre oeuvre (sujet récurrent chez BILS)
et sur la teneur des mots que nous choisissons d’écrire ou de prononcer (autre sujet récurrent).
Si des mèmes, publications ou textes sur ce qu’il faut “avoir fait impérativement avant de mourir”, tournent en boucle sur le web, c’est bien parce que l’obsession de l’Homme est de ne pas avoir de regrets, à la fin.
N’est ce pas la vôtre, comme la mienne, au fond ?
C’est pourquoi l’invitée de cette édition toute spéciale n’est pas une gourou du développement personnel qui vous assénera d’injonctions moralisatrices pétries d’une pseudo bienveillance.
C’est une personne qui côtoie la fin de vie tous-les-jours (oui, même le week-end. On choisit rarement le jour et l’heure...) - Et qui n’a pas le temps de publier des mèmes sur Linkedin pour récolter de l’engagement.
Cette personne vit à chaque grand départ :
Les derniers souhaits,
les derniers mots,
les derniers espoirs,
les dernières peurs,
les dernières révélations,
les derniers pardons.
Cette personne, c’est Pauline (nom de famille non mentionné dans cette interview par souci d’anonymat professionnel), médecin en soins palliatifs à domicile.
Ses mots ici n’ont pas de prix.
Lisez-les. Ils sont un véritable cadeau.
Pas pour cogiter infructueusement sur le thème compliqué de la mort mais pour vous libérer. Et parvenir à mieux exprimer ce qui vous semble aujourd’hui encore indicible; à trouver les mots pour faire face; à oser “dire” avant qu’il ne soit trop tard.
Et si Pauline parvient à vous montrer que l’on peut trouver les mots, même face à la mort, c’est probablement que vous pouvez apprendre à les trouver en toutes circonstances.
Cette interview est un shoot de vie. Rendez-vous juste après le gif du joli film « là haut ». N’en ratez pas une once et partagez-la dès que vous l’aurez dégustée 💙
L’ÉCHANGE
Marie 🦅 :
Chère Pauline,
Les media et la société n’ont parlé que de vous pendant cette ère Covidesque.
Non pas de vous : Pauline, mais de vous : soignants. Un mot que vous aimez bien je crois. Vous qui, médecin, vous êtes entre autres engagée à intervenir pour protéger :
“'(…) toutes les personnes (…) si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité” (Extrait du serment d’Hippocrate)
Mais nous n’allons pas parler de santé aujourd’hui.
Il me semble que le monde a besoin de changer de sujet, d’air, de mots.
Plus encore qu’une soignante, vous êtes une aidante : à vivre….les derniers instants d’une vie.
Vous êtes une aidante à mourir.
Médecin en soins palliatifs à domicile, vous avez côtoyé des milliers de personnes ces dernières années.
Toutes si différentes par leur milieu social, leur mode de vie, leur âge, leur sexe, leurs valeurs, leur foi ou leur absence de foi, leur espérance ou leur désespérance…mais toutes réunies face à cette issue commune.
Celle qui nous rassemble tous, à la fin. La fin de ce mystère qu’est notre vie.
Comment trouver les mots justes face à l’indicible ?
Le silence est-il parfois plus fort que les mots ?
Y a-t-il des mots que l’on devrait dire avant qu’il soit trop tard ?
Certains mots ont-ils un pouvoir universel ?
Ce sont autant de questions que je vous propose d’explorer ensemble dans cet échange chargé en émotions et en enseignements.
Osons !
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Pauline 👩⚕ :
“Je dédie cette interview à Anna Louisa, ma patiente trop tôt disparue, femme lumineuse et courageuse qui chérissait les mots et laissa après sa mort un précieux recueil de 24 poèmes.”
« Je veux toucher les mots avec mes mains,
Car ce sont des créatures, ô oui,
D’artisan amoureux,
Parfois cuisinier, parfois magicien »
- Anna Louisa ☮
1 - CES MOTS QUI BLESSENT OU SOIGNENT
Marie 🦅 :
Pauline, vous soignez, vous soulagez, vous aidez vos patients à clore la page de leur vie et leurs proches à l’accepter au mieux.
Que pensez-vous de la place des mots dans la relation soignant/soigné en général ?
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Pauline 👩⚕ :
“Les mots sont essentiels comme dans toute relation qui nous engage réciproquement. Ils doivent être choisis avec une infinie délicatesse.
Ils nous permettent d’entre-ouvrir la porte du mystère de chaque être et d’ouvrir des chemins de confiance et de patience.”
2 - NOS MOTS FACE AU GRAND PASSAGE
Marie 🦅 :
Quels sont les mots qu’expriment souvent les personnes proches de ce passage si mystérieux de la vie à la mort ? Observez-vous des récurrences ?
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Pauline 👩⚕ :
“Les derniers moments de notre vie nous permettent de revenir à l’essentiel et de quitter la superficialité des choses.
Avant de quitter “le connu” pour sauter dans “l’inconnu” les patients s’interrogent sur leurs derniers instants.
Leurs demandes récurrentes sont celles : “du temps qu’il reste” et du “risque de souffrir”…
Mais à travers ces deux questions transparait une demande plus profonde qui est celle de la confiance en notre présence, à nous soignants, jusqu’au bout de leur chemin de vie.
3 - LES MOTS DES PROCHES QUI SE RÉVÈLENT, AUX PORTES DU DEUIL
Marie 🦅 :
Vous m'avez confié être bouleversée par les familles ou proches qui se révèlent face à la mort imminente d’une personne aimée. Derrière les masques et les apparences, l’Homme cache parfois une profondeur insoupçonnée.
Quels mots ou phrases de proches vous ont le plus marquée récemment ?
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Pauline 👩⚕ :
“Je vous livre les mots de l’époux de 95 ans d’une de nos patientes qui vient de mourir, en réponse à notre lettre de condoléances” :
« J’ai bien reçu ce mot de compassion qui m’a touché profondément. Chère docteur, chère infirmière permettez moi de vous remercier du fond du cœur pour ce message si rare et si précieux »
4 - QUELS MOTS CHOISIR POU APAISER ?
Marie 🦅 :
… quand on est soignant auprès d’une personne en soins palliatifs ? Y a-t-il des mots ou expressions que vous employez qui :
soulagent et apaisent ?
disent la vérité ?
réconcilient ?
d’autres registres de mots encore, qui vous semblent essentiels dans ces moments ?
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Pauline 👩⚕ :
“Il y a effectivement des mots qui soulagent : ce sont tous les mots qui témoignent de notre attention, de notre sollicitude mais aussi évidemment de la certitude de notre compétence.
Parmi ces mots, il y a ceux qui disent notre présence indéfectible:
"Je répondrai à tous vos appels (via l'astreinte téléphonique),
“Vous pouvez appeler pour poser toutes les questions qui vous inquiètent même celles qui vous semblent secondaires”,
“Je serai avec vous jusqu'au bout",
"Je ferai tout ce que je peux pour vous soulager”
Mais aussi ceux qui appuient le fait que les personnes malades sont encore bien vivantes.
Comme par exemple :
"Vous avez de si beaux yeux”,
“Quel a été votre travail ?”,
“Avez-vous des enfants ?",
etc.
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Chaque question doit être écoutée, entendue et demande une réponse.
C’est d’ailleurs la plus grande source d’apaisement pour nos malades de savoir qu’ils peuvent nous appeler nuits et jours, que leurs mots ne seront pas vains et que leurs maux seront soulagés.”
5 - PARLER EN NE DISANT RIEN
Marie 🦅 :
Devant l’indicible, le silence est-il parfois préférable aux mots ?
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Pauline 👩⚕ :
“Le silence peut être préférable aux mots car il nous emmène dans les profondeurs de l’humanité, les entrailles de notre être.
Mais il ne doit pas être une fuite.
Il faut habiter le silence d’une présence tangible qui redit au patient qu’il peut avoir confiance.
Les mots peuvent parfois être remplacés par le son d’un instrument.
Je me souviens avec émotion des langueurs du violoncelle de Claire Oppert* au chevet des mourants de l’Unité de Soins Palliatifs de Ste Périne. Dans ces moments là, les mots ne pouvaient que se retirer.”
*« Le pansement Schubert » Claire Oppert - Denoël / Feuilleter le livre
6 - LES MOTS INDICIBLES ET LES MOTS INAUDIBLES
Marie 🦅 :
Y a-t-il des mots que certains patients ou proches ne veulent pas entendre ?
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Pauline 👩⚕ :
“Certains patients demandent la vérité et sont apaisés de l’entendre pour mieux se préparer.
Mais d’autres ne peuvent accepter que la médecine curative ne puisse les sauver.
Ils ne peuvent concevoir qu’après avoir fait tant de sacrifices, avoir supporté de voir leurs corps mutilés, avoir accepté les effets secondaires parfois dévastateurs des chimiothérapies, la bataille soit perdue.
Et pour eux les mots de « soins palliatifs » qui annoncent la fin des traitements dits « curatifs » sont inaudibles.
Les familles nous demandent de ne pas les prononcer. Parfois même le mot cancer est tabou.”
7 - REGRETTER DE NE PAS AVOIR SU DIRE À TEMPS
Marie 🦅 :
A force de côtoyer des personnes si différentes aux portes de leur fin de vie, pensez-vous qu’il est regrettable de ne pas avoir su dire certaines choses à temps ?
Des mots d’amour ?
Des mots de pardon ?
Des mots de permission ?
Des mots de libération ?
…
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Pauline 👩⚕ :
“A l’orée de notre finitude il est indispensable de dire ce que nous avons contenu (NDLR : toute notre vie) par pudeur, par orgueil ou par légèreté.
Ces mots d’amour, de reconnaissance ou de pardon sont infiniment libérateurs pour les « sur-vivants » et peuvent changer le reste de leur vie.
Par les liens de confiance que nous soignants, pouvons créer avec nos patients en fin de vie nous pouvons devenir « des passeurs » de ces mots qui réparent des vies souvent fissurées. Il m’arrive d’encourager mes patients à oser ces retrouvailles.”
8 - QUAND LA RICHESSE SURGIT DU DÉSERT
Marie 🦅 :
Pensez-vous que le désencombrement offert ou imposé à l’Homme par la fin de vie, lui permet d’accéder à des mots plus profonds, plus forts ?
Comment voyez-vous ce lien entre vulnérabilité (physique) et force (verbale) ?…
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Pauline 👩⚕ :
“C’est une question essentielle.
Je pense que ce temps de dépouillement est aussi un temps ultime, donné à chacun, d’intimité avec soi même et avec autrui.
C’est le temps de vérité absolue dans la révélation profonde de soi à soi même et dans la sublimation de l’altérité qui ne peut tricher.
Les mots qui sont l’expression de notre humanité sont alors épurés, dépouillés de leurs automatismes factices.
Et c’est toujours par eux que l’on peut se relier pour se raconter, témoigner, pardonner, réparer.
Mais il faut pour cela accepter de faire alliance avec les derniers instants de sa propre vie. Sans cela, trop grande est la blessure, pour ceux qui demeurent, de ces mots tant attendus mais jamais entendus.
9 - DERNIERS MOTS
Marie 🦅 :
Quels mots souhaiteriez-vous ajouter pour clore cet échange ?
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Pauline 👩⚕ :
« Vie végétative on l’appelle,
Mais rien de tel
Puisqu’il y a des envols et des lueurs,
Camouflés tout au fond d’un regard absent.
Vie végétative ?
Non contemplative :
tressant ici, tout au sud de l’univers,
Inutiles,
ses vers. »
« Ils sont vingt quatre* et ne disparaissent pas
même quand j’éteins la lumière »
*Veinticuatro poémas y sus ecos en una lengua amiga - Anna Louisa ☮️
Avant de vous quitter pour cette semaine et au regard de cette édition spéciale; j’aimerais vous demander quelque chose.
Dites à une personne de votre choix que vous la trouvez belle; qu’elle a de merveilleux yeux qui disent l’amour et la vie; dites à un proche que vous l’aimez « jusqu’à la lune » (« to the moon and back »); demandez à un voisin s’il est heureux dans son travail; remerciez un(e) ami(e) d’être là et peut-être même d’avoir changé quelque chose dans votre vie. N’ayez pas peur de la souffrance ou de la douleur de cette personne que vous n’osez plus contacter, parce que vous ne savez pas quoi lui dire.
Le champ est libre.
Osez dire.
N’attendez plus.
A bientôt 💙
Marie.
VOUS AIMEZ BILS ? - Mais surtout, vous voulez diffuser ce message précieux que vous ne lirez nulle part ailleurs ? Partagez cette missive à toutes les femmes et à tous les hommes qui cherchent les mots face à l’indicible ou tout simplement, face à la vie ❤️ MERCI.
A VENIR - Votre prochaine missive vous parviendra à partir du 14 juillet et sera dédiée à la CRÉATIVITÉ (4e pilier BILS).
Bravo et merci pour cette magnifique interview et le thème choisi qui tombe à point nommé pour moi. Cela résonne de manière extrêmement positive et poétique en moi.