Hello à chacun(e),
Bienvenue dans le nouveau concept éditorial de cette missive : “BILS XP”
Objectif : “Dans BILS XP Je vous emmène avec moi dans des expériences de vie courtes et intenses que je vous raconte ligne après ligne pour nourrir votre réflexion, élargir votre vision du monde et vous donner le goût de transformer sans cesse l'ordinaire de votre quotidien, en récits extraordinaires.”
BILS XP vient rejoindre les autres sections BILS : les Audios BILS (payant) ; Correspondances ; Ligne Edito ; La Missive BILS ; Les Conseils d’écriture BILS et Diegesis.
Vous avez voté dans la dernière édition (et vous m’avez surprise !) - alors je vous suis :) 👇👇👇
👉 Vous recevrez ma Correspondance avec Dimitri début 2024.
Ces 72 dernières heures, j'ai vécu une expérience très particulière et inédite : passer Noël dans une abbaye. Loin d'être un exposé religieux, le récit qui suit a la vocation de vous faire réfléchir, sourire et peut-être même voyager, si ce n'est au cœur de la communauté bénédictine de l’Abbaye de Limon, au moins au cœur de vous-même.
Pour les plus dubitati-fs/-ves, je vous propose même de suivre ce récit (réel en tout point) sous l'angle du storytelling (le vrai, pas le nase) à l’aide de 8 piliers fondamentaux de tout bon récit (cf. John Truby, auquel je me réfère souvent.)
Element déclencheur → Le témoignage de ma kiné qui voulait faire une pause à Noël, mais qui ne pouvait pas.
Protagoniste + faiblesses → Moi + Difficulté à sortir de ma zone de confort ; besoin d’activité physique et intellectuelle soutenues ; difficultés à être dans l’instant présent et à ne rien “faire”.
Désir → Trouver la paix physique et mentale.
Antagoniste → Notre société occidentale dérégulée et son “bruit”.
Action principale → Sortie active de ma zone de confort / Expérimentation de 72h dans une abbaye.
Conflit → Lutte contre l’envie de “faire” vs “être”.
Choix moral → Quitter l’abbaye 24h plus tôt que prévu sans me justifier.
Transformation → Prise de conscience que le recul ne passe pas forcément par l’isolement et qu’il existe autant de voies de croissance personnelles et collectives qu’il existe d’humains.
🤫 Scène #1 : « Le bruit ne fait pas de bien »
Je crois que c'est arrivé mi-décembre.
Je discutais avec ma kiné de la période de Noël, au détour d'un probable 45e soin de l'année. Elle avait les mains posées sur mon ventre, attachée à délier d’irréductibles cordes de tension provoquées par l'endométriose ; et les yeux dans le vague.
De là où j'étais je ne pouvais que la regarder avec attention, guettant ses mots qui quand ils arrivèrent, me firent le même effet qu’une grenade que l’on dégoupille.
👩⚕️ « Je sais que je vais sortir de la période de Noël encore plus fatiguée que je n'y suis rentrée ; ça me déprime d'avance » m’a-t-elle lancé dans un soupir.
Je l'ai alors questionnée sur ses obligations en essayant de voir si elle ne pouvait pas en lâcher quelques unes ou du moins les envisager autrement. Mais il ne semblait pas y avoir d'issue. C'est là que le pire est arrivé.
Après un court silence, elle a ajouté :
👩⚕️ « En fait, je rêve de trois petits jours de jeûne et thalasso juste après Noël, ou même, de silence. »
J'ai souri et je lui ai dit :
🙋♀️ « Mais faites-le !
Elle m'a répondu :
👩⚕️ “Je ne peux pas, mon mari et mes enfants vont me taper sur les doigts.”
Après avoir creusé un peu, je me suis rendu compte que ma kiné quotidiennement vouée aux soins de “l'Autre”, n'avait pas la liberté de prendre soin d'elle-même, au risque de se voir reprocher je ne sais quelle forme d'égoïsme par ses proches.
J'étais attristée et ce n'était que le début.
J'ai échangé avec quelques autres femmes après cela qui m'ont toutes répété la même chose. Bien que pour des raisons différentes, chacune d'elle en venait à la même conclusion :
💔 « Je ne peux pas m’arrêter après Noël parce que je dois X ou Y ».
Aucune d'elle n'avait envisagé de dire :
🌟 « Je veux m'arrêter après Noël, parce que j'en ai besoin. » POINT.
C'est à ce moment-là que j'ai regardé l'année 2023 écoulée.
J'ai repensé à ce Noël 2022 que j'avais vécu totalement épuisée, tentant tant bien que mal de donner le change aux repas de famille, puisant dans les moindres cellules de mon corps et les méandres de mon psychisme pour y trouver une énergie à donner que je n'avais pas.
J'ai repensé à la culture de « la magie de Noël » et à cette quasi injonction de célébrer à coups de consommation extravagante, aussi bien de cadeau que de nourriture. Loin de toute démarche de recueillement, de recul ou de sens.
J'ai observé mon long chemin de convalescence entrepris toute cette année, l'évolution et la densification de BILS. Ses surprises, ses chances, ses fruits.
❌ Et je me suis juré : « plus jamais ».
Ce jour-là, j'ai acté mon rejet de tout ce qui nuirait à mes besoins fondamentaux ou me forcerait à suivre un “anti-rythme”.
J'ai choisi la régénération plutôt que la dispersion.
J'ai choisi de passer Noël sans ma famille, dans le silence d'une abbaye des Yvelines, du dimanche 24 au mercredi 27 décembre 2023.
🧳 Scène #2 : “Savoir partir”.
Après une nuit agitée, j'ai bouclé ma valise avec une nonchalance proche de la désolation.
Il y avait de beaux rayons de soleil, l’air était presque doux.
Je me demandais quelle idée j'avais pu avoir de vouloir quitter mon confort et mes repères pour les murs épurés d'un lieu religieux cloîtré.
Oui je suis catholique pratiquante et la prière une forme de prière a du sens pour moi.
Mais je suis comme vous toutes et tous.
Quitter mon confort me fait peur (pardon, je rectifie : m’angoisse absolument !)
Trop de silence me fait peur.
Rencontrer des religieuses contemplatives vouant leur vie à Dieu me fait peur.
Couper les réseaux sociaux et lâcher mon boulot me fait peur.
La liste est immensément longue.
Ce dimanche 24 décembre 2023 au matin, j'avais aussi peur de tout que j'avais choisi avec ferveur d'occulter l'agitation presque malsaine des fêtes, quelques semaines auparavant.
Je suis finalement partie en lançant à mes proches un :
😭 « J'ai vraiment des idées de merde » à cheval entre humour et dépit.
À peine 30 minutes plus tard je me retrouvais à l'entrée des portes de l'abbaye de Limon – en plein plateau de Saclay.
👩🎤 Scène #3 : « Sister Act »
Il est 16 heures, je me gare, je sonne à la grande porte d’entrée en bois et j'attends quelques minutes qu'une voix me réponde enfin :
🙏 “Allo, oui ?"
👩🎤 “Bonjour ma soeur, je suis Marie Gaymard, j'ai rendez-vous, enfin je veux dire j'ai réservé…enfin…”
(Non mais sérieusement ! On dit quoi dans ces moments-là ?)
Je ne suis pas à l'hôtel.
Je n'ai pas non plus rendez-vous avec qui que ce soit à part peut-être Dieu, le silence et moi-même, je ne sais pas trop sur le coup.
Et je n'allais pas dire ça à l'interphone !
Mon interlocutrice a abrégé ma boucle cérébrale et s'est contentée d'un :
🙏 “D'accord ! Une sœur va venir vous ouvrir” plein de sollicitude.
Ladite sœur est apparue quelques minutes plus tard.
Le contraste entre elle et moi était saisissant.
Elle était habillée… comme une religieuse bénédictine et moi, avec une polaire kakie militaire, mes baskets et mon bonnet gris-bleu à paillettes vissé sur ma tête.
La sœur, de son prénom Anne–Karol* (*Karol, en référence à Karol Wojtyla, ou l’ex pape, désormais Saint Jean-Paul II) m'a fait faire le tour des lieux, en commençant par “l'essentiel”, m’a-t-elle dit : l'église.
Elle m'a montré les horaires des “offices” aka prières (il y en avait absolument tout le temps !) et précisé le sourire en coin :
🙏 “Vous n'êtes obligée de rien vous venez quand et si vous voulez ».
J'étais un peu rassurée.
Je suis pratiquante mais pas une marathonienne de la prière.
J'aime bien quand c'est court et intense, mais les prières répétées tout au long d'une même journée ont tendance à m’oppresser plus qu'autre chose.
La sœur a poursuivi son tour en me lançant des petites blagues ici et là pour me charrier.
🙏 “Pour le dîner de Noël, on verra si on pourra vous donner un petit quelque chose ! “
(Moi : Okayyyyyy !)
🙏 “Je vous fais marcher !”
(Moi : Oui, oui, je vois)
Et puis avant de nous quitter, je lui ai dit que l'une de mes plus proches amies étaient devenue religieuse chez les Franciscaines. Mais qu'elle était très active « dans le monde » là où les sœurs bénédictines comme elle, ne peuvent sortir qu’exceptionnellement (pour leur santé, celle d'un proche, ou une formation).
Je lui ai demandé pourquoi il y avait une telle différence entre les différents ordres.
Elle m'a expliqué qu'il y avait des ordres « apostoliques », autrement dit “à l'œuvre dans le monde” et des ordres “contemplatifs” autrement dit “centrés sur la prière.
J'ai particulièrement aimé quand elle a ajouté :
🙏 “Avant je faisais partie d'un ordre apostolique, j’étais même enseignante, mais j'ai changé !”
(NDLR : je ne savais pas que des religieuses pouvaient changer d'ordre en cours de vie).
Mais plus encore, elle a ajouté :
🙏 “En réalité, l’être humain est complet et a toujours besoin de contemplation et d'action. Certains ordres accentuent la dimension contemplative ; d'autres la dimension active, mais ce n'est jamais tout l’un ou tout l'autre. Il est impossible d'agir avec justesse sans recul et il est difficile de contempler sans agir, comme chez nous, par le travail manuel, l’art, etc.”
Sur ces mots bien sensés qui reflétaient bien la part de contemplation que j’étais venue chercher en ces lieux, pour équilibrer l'action quoi “qu'il en coûte” dans laquelle nos sociétés sont baignées ; nous nous sommes quittées.
🎄 Scène #4 - Veille de Noël à l’abbaye
Il est 16:50 : les cloches sonnent, ce sont les vêpres (prière du soir, célébrées à l’heure “vespérale”, en fin d’après-midi quand le jour baisse et que le travail du jour cesse.)1
Ce 1er office aura eu raison de moi.
Il faisait un peu froid : cet inconfort physique a pris une place énorme dans ma tête
Les vêpres durent 45 minutes. Je regardais sans arrêt combien de pages du carnet de chants il restait avant la fin. Lutte maximum pour être dans l'instant présent.
Pensées diffuses : je n’avais rien à “faire” pendant ces 45 min ; à part écouter les soeurs chanter en grégorien et en latin. J’ai essayé de convertir ce moment en en instant de méditation mais je n’y suis pas vraiment arrivée. J'étais face a mon antagoniste principal : le bruit “chronique” dont l’un des symptômes est entre autres de vouloir agir en toutes circonstances.
I knew it. La route allait être longue.
“La femme moderne est un tourbillon d'activité. On lui demande d'être tous, pour tout le monde. Il y a longtemps que la vieille sagesse n'a plus cours.”2
🍫 Scène #5 - Gourmandises
Le dîner de Noël prévu par le cuisinier de la communauté bénédictine de l'abbaye était généreux (cf cet échange sms avec l’une de mes soeurs) :
Ça non, ce ne sont pas des ascètes et bien que j'adhère à un mode de vie “essentialiste”, je ne suis pas toujours adepte du “minimalisme”.
=> Le premier amène à faire des choix efficients qui évitent de perdre du temps, de l'énergie et de passer à côté du cœur ou de l'essentiel de sa vie.
=> Le deuxième vise à vivre avec le moins possible, qu'il s'agisse d'alimentation, de logement; d'habits etc.
Autant j'ai horreur du gâchis et de la surconsommation ou tout simplement de la consommation impulsive pour calmer (mais en vain) ses vides et autres envies de remplissage ; autant je suis une adepte de l'hédonisme.
Nous sommes des êtres de chair dotés de capacités de jouissance et si tout abus finit souvent par être délétère, l'expérimentation sensorielle du plaisir d'être en vie me paraît vitale.
Ou essentielle. Pour rester dans le même registre de langage :)
D'ailleurs, l'expérience de cette table était intéressante ; je serais curieuse de savoir comment vous vous comporteriez dans ces moments-là.
Par exemple, il y avait plus de parts de foie gras à table que de personnes (classique !), alors …. ? (NDLR : tous ces mini sondages sont toujours anonymes, même pour moi).
Idem côté alcool 🍷
Il y avait du cidre (original pour Noël) et du vin rouge.
Là aussi, autant j’ai beaucoup de plaisir à déguster de bonnes bouteilles, autant j’arrive rarement à dépasser 2 petits verres.
Cela n’a rien d’un principe, c’est une réaction purement physique.
Au-delà de ce seuil, mon corps n’a plus envie, je me sens mal.
Et moi je n’ai pas “besoin”, de boire de l’alcool, donc je m’arrête (parce que je déteste “me sentir mal”, lol). (NDLR : tous ces mini sondages sont toujours anonymes, même pour moi).
Pour la suite de la soirée et nuit de Noël, je me suis engouffrée dans une veillée puis une messe de minuit qui ont duré 3h !
J''ai failli péter un plomb. 😵💫😵💫😵💫
→ D'une, la plupart des chants étaient en latin (j'en ai fait en sixième et cinquième soit il y a environ 4,5 millions d'années).
→ De deux, les sœurs chantent en grégorien et c’est méga technique (perso, je ne sais pas faire).
→ De trois, l’église était belle et grande mais toujours pas chauffée. J’étais congelée, même avec mon infaillible polaire militaire.
Bilan de l'expérience : je ne suis vraiment pas faite pour la vie purement contemplative :) Et je le savais déjà un peu au fond.
Si le contact avec la nature, le temps long, le silence font partie de mes essentiels, il y a toujours une idée créative qui se trame en arrière-plan !
Ce que je veux dire c'est que, si je marche longtemps ; si je reste en silence un moment ; si je médite même, c'est toujours pour nourrir ma vie active et créative.
Pour enrichir un texte, un projet, une relation à la limite.
Pas pour “rien” ou comme “une fin en soi.”
Or les sœurs bénédictines prient pour la prière et pour honorer leur foi.
C'est une action en tant que telle dont je me sens terriblement éloignée. Mais heureusement le monde est fait pour la diversité et c'est assez fabuleux ainsi. Ainsi se nourrit la grande histoire de l'humanité.
« D'après moi, ce qui fait la force de la narration, c'est une grande colonne d'êtres humain, unis dans le temps et dans l'espace. »3
Et vous …?
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🎁 Scène #6 - Jour de Noël
Quand je regarde par ma fenêtre, je vois Agro Paris Tech, EDF et l’Ecole Polytechnique (photo non contractuelle :) ceci est le cloître de l’abbaye).
C'est assez génial de se dire que des humains hyperactifs et dans le monde vivent à quelques kilomètres d'une communauté contemplative cloîtrée.
Cette vue m’a tout de suite évoqué un voyage en Inde que j'avais effectué dans le cadre d'une mission commerciale rattachée à mon MBA en marketing au Québec.
🇮🇳 J'avais eu un rendez-vous au World Trade Center de Mumbai et avant de grimper en haut de la Tour pour y rencontrer son directeur, ma binôme et moi avions enjambé des femmes et des hommes vivant dans la rue.
L'extrême pauvreté ne cessait de côtoyer l'extrême puissance dans ce pays. C'est ce qui m'avait le plus marquée.
Je crois qu'il n'y a parfois pas besoin de voyager très loin pour le constater.
15 ans plus tard et à seulement 30 minutes de chez moi je retrouvais une autre forme de contraste saisissant.
🚒 Scène #7 - Là “par accident”
Après avoir passé la matinée dans ma chambre, à dormir, à lire et écrire, j’ai rejoint mes acolytes de retraite à 12h45 pour le déjeuner de Noël (toujours là pour bouffer celle-là).
Nous n’étions plus que quatre ; l'une des retraitantes étant partie dans la matinée.
Notre groupe était un petit comité de personnes ayant choisi de prendre leurs repas “en silence” versus 15 autres retraitants dans la pièce d'à côté ayant opté pour un mode “à voix haute”.
Mais le plus marrant dans l’histoire, c’est que pendant ce déjeuner de Noël, nous (les pseudo silencieux), avons discuté sans répit de l'entrée au dessert, alors même que le groupe d'à côté (les pseudo bavards) ont plongé dans de longs moments de silence que je constatais à chaque allée et venue dans la cuisine.
Je trouve finalement très rassurant :
D'avoir le choix du silence 👉 🤫
D'avoir la liberté de le rompre 🤫 👉 🥳
D'avoir la liberté de le retrouver 🥳 👉🤫
Les méandres de cette vie religieuse m’apparaissaient à nouveau plus souples que je ne le croyais.
Et bien que le “bruit” soit mon antagoniste radical, j’ai eu la surprise de vivre un déjeuner riche en conversations mais sans “agitation” pour autant.
Laissez-moi vous en raconter quelques bribes, la fin vaut le détour.
Comme pour chaque repas, le cuisiner de l’abbaye avait laissé le menu et les plats du jour dans la cuisine. Nous nous sommes attablés, une petite musique en fond.
Ma voisine de droite, Nicole, avait un sourire malicieux au coin des lèvres et ce mélange si particulier d’ardeur, de mystère et de vulnérabilité.
Elle me faisait penser à feu ma grand-mère maternelle.
Je crois lui avoir dit que les 3h de messe de la veille m’avaient achevée et à quel point j’avais besoin de “comprendre pour participer”.
C’est là que Nicole m’a avoué qu’elle n’était “paaaaas duuuuu touuuuut croyante” et qu’elle était “arrivée ici par accident” (je la cite);
Elle a ajouté :
👩🦳 “Mais j’ai adoré les 3h de messe d”hier”.
Je me rappelle l’avoir fixée les yeux écarquillés tout en dégustant mon saumon fumé sur un petit toast rond et lui avoir demandé :
🙋♀️ “Tu as fait comment pour adorer ça ?”
👩🦳 “Je ne sais pas, je l’ai vécu avec mes tripes”.
Cet échange bref et peut être anodin en apparence était d’une grande profondeur.
Nous étions 4 à la table des “silencieux” ; 1 couple de croyants plus ou moins pratiquants ; 1 femme non croyante et moi, croyante mais la tête et le corps encore trop “dans le bruit du monde” pour arriver à vivre cette parenthèse monacale “avec mes tripes”.
Notre diversité à l’échelle si petite de notre nombre et les réactions inattendues de chacun(e) face au silence, à la contemplation et à la prière, nous ont bien montré qu’aucun être humain n’est une somme d’identités figées qui le définissent “une bonne fois pour toutes”.
🌊 Tout est possible et mouvant, tout le temps.
Nous avons poursuivi notre déjeuner en parlant de laïcité, dans son sens du “respect égalitaire des convictions religieuses de chacun et de leur discrétion fans l’espace public” ; du taoisme ; du Qi Gong ; de chamanisme et d’une forme d’universalité chez l’Homme dans sa quête de rencontrer “pus grand que lui”.
🌎 Bref, nous avons refait le monde ou plutôt, nous nous le sommes raconté.
Et après quelques chocolats puis le nettoyage de la table, alors que je m’apprêtais à partir marcher autour de l’abbaye, Nicole nous a dit :
👩🦳 “Je ne voudrais pas que vous vous posiez trop de questions sur ce que je vous ai dit de moi ; quand j’ai dit que j’étais arrivée ici “par accident”, c’est parce que…”
Nicole s’est arrêtée, a baissé les yeux et repris son souffle. Puis a avalé sa salive avec difficulté et poursuivi en disant :
👩🦳 “On m’a diagnostiqué une leucémie, je commence ma chimio demain”.
A ce moment-là, j’ai été submergée de tellement d’émotions, entre affection et empathie.
Si Nicole n’avait pas manifesté son souhait de rester un peu physiquement à distance (probablement pour des questions d’immunité), je crois que je l’aurais prise dans mes bras.
Je me suis contentée de poser ma main sur son épaule et de la remercier en lui disant que je penserai fort à elle - et que si on s’y mettait à plusieurs, c’était sûr, ça l’aiderait. Puis je suis partie marcher (et me perdre) le long de la rigole domaniale de Vauhallan4.
👅 Scène #8 : “Trouve TA singularité !”
Les chaises qui encerclaient les tables des 3 repas quotidiens de l’abbaye étaient de véritables chaises musicales.
En 3 repas à peine, la configuration de ma table avait déjà changé 3 fois.
Cette diversité était due aux allées et venues des uns et des autres. Certains voulant rester 1 semaine, d’autres 1 journée, d’autres encore quelques jours.
Et ce qui était assez incroyable c’est qu’à chaque repas, les nouveaux/nouvelles arrivant(e)s étaient accueilli(e)s comme si ils/elles avaient toujours été attendu(e)s.
Il n’y avait pas cette insupportable “jauge” de l’autre que l’on retrouve dans beaucoup de rendez-vous mondains ou parfois de simples diners.
La manière dont on était habillé(e)s n’avait aucune importance ; d’où on venait n’avait aucune importance ; si on participait à tous les offices à quelques uns ou à aucun, n’avait aucune importance ; ce qu’on “faisait dans la vie” et combien on gagnait, encore moins d’importance.
C’est probablement ce qui est le plus difficile d’ailleurs dans le fait de venir se retirer dans une abbaye. Ce ne sont pas l’ordre, les consignes ou les horaires.
🗽 C’est de faire face à sa propre liberté.
Qui suis-je quand personne n’exige plus rien de moi ?
Qui suis-je quand je n’ai plus mes étiquettes pour me contenir, me rassurer, me définir ?
🗽 C’est vertigineux, la véritable liberté.
Les soeurs bénédictines de Limon ont d’ailleurs l’art, le talent et la vocation de vivre une sorte de “plénitude” ou encore de “complétude”, malgré ou grâce à leur engagement tout entier.
Ce n’est pas du tout ma voie pour 1000 raisons mais j’aime ou j’admire leur équilibre et leur joie.
(Je vous raconterai un peu plus tard un court échange avec la soeur doyenne des lieux (93 ans !) : un bijou d’esprit et de vivacité !)
Revenons à notre table du soir.
Ce soir, Nicole est partie. Eric, Christine et moi ne sommes plus en tête à tête. Un nouveau venu : Patrik, est arrivé.
Très vite, le rituel silencieux s’est vu à nouveau brisé.
Patrik se trouvait avoir eu une vie dantesque, pleine de rebondissements.
Patrik m’a parlé de peinture (découvrez ses créations ici) et je lui ai parlé d'écriture.
Nous avons abordé toutes sortes de sujets avec une ouverture et une liberté (encore) parfois compromises dans les espaces religieux où le blasphème ne semble (de mon point de vue) jamais très loin.
Pourtant je crois que tous les sujets ont leur place partout du moment que personne n’est sali, rabaissé ou dégradé dans la discussion. Ado je vivais déjà tellement mal la fermeture d'esprit de certaines personnes qui bridaient les échanges à triple tour, pour des pseudos raisons religieuses.
Rien n’a changé, je le vis toujours mal :)
À la fin de notre échange, Patrik m'a fait cette remarque qui je le sais, résonnera chez beaucoup d'entre vous.
Je lui ai dit :
🙋♀️ “J'aime bien l'idée de pouvoir fêter Noël dans une abbaye si j'en ai envie.”
Il a acquiescé.
J'ai ajouté :
🙋♀️ “C'est important de pouvoir faire autrement que ce qui est convenu ou attendu.”
Patrik a enchainé :
👨🦰 « Evidemment, je comprends ton besoin de faire « autrement » mais cet “autrement” est un piège parce qu'il implique que le référentiel de tes actions reste “l'Autre”. Alors que la clé c'est de trouver TA singularité et de la vivre pleinement. À partir de là, souvent les autres se sentent autorisés de trouver la leur. Peu de gens connaissent leur vraie singularité dans le fond. »
C'était une fin de journée fructueuse et un beau tremplin pour une nuit apaisée à défaut d'être étoilée.
😴
😅 Scène #9 “Humour quoiqu’il en coute”
48 heures après mon arrivée ; alors que j'avais toujours cette impression d'être partie de chez moi depuis un mois, je me suis réveillée dans la brume au sens figuré (légère angine) et propre (l’air était à l'apogée de sa turbidité).
J'ai pris le temps de méditer, de lire, décrire - encore.
Loupé la messe du jour - encore, et rejoint mes acolytes au repas du déjeuner - toujours.
Patryk et moi avons poursuivi nos échanges débridés en parlant de psilocybine et autres thérapeutiques physiques et mentales en plein développement légal5 .
Nous avons parlé de l'Autre et de la manière dont nous avons toutes et tous tendance à nous en protéger d'autant plus qu'il nous semble différent (de nous), donc “étranger”.
Puis, j’ai quitté notre joyeuse tablée pour aller marcher - espérant dissoudre à nouveau ma fatigue dans les champs gras et boueux du plateau de Saclay.
Mission fiévreusement accomplie. Après 4 km sous une sorte d’odieux crachin, j'ai capitulé - pour clore mon échappée dans la boutique de l'abbaye où les sœurs vendent non seulement le fruit de leurs travaux mais celui d'autres congrégations.
On y trouve des confitures délicieuses, des préparations pour faire des entremets, des biscuits au miel, des pâtes de fruits, des savons, des produits de beauté dont un shampoing d'une efficacité dingue (!), des livres religieux d'autres de pur '“dev perso” ;)
Au moment de régler, la sœur doyenne qui m'avait laissée embarquer un shampooing (toujours le même) sans payer la veille, m'a bien fait rire.
Elle s'est mise à me raconter une erreur de facturation d’une cliente, qui avait approuvé un paiement bancaire de 900 € lieu de 90 € ! Et la désolation de cette même dame, visiblement âgée, incapable de se connecter à son appli bancaire pour confirmer le débit.
La sœur de 93 ans a ajouté :
🙏 “La pauvre, on lui a tout de suite fait un virement pour corriger le tir mais c'est pas marrant quand on est pas née avec Internet de ne plus avoir le choix de faire autrement !” (NDLR : c'est ce qui s'appelle l'exclusion numérique !)
J'ai ri et je lui ai dit :
🙋♀️ “Attendez ma sœur, ça c'est rien, maintenant ce sont les intelligences artificielles qui débarquent ! Bientôt vous allez appeler vos fournisseurs ce sera une voix pilotée par une AI qui vous répondra !”
La sœur pas du tout larguée m’a gratifiée d’un large sourire amusé et dit :
🙏 “Mais quelle horreur, de toute manière moi je déteste que l'on pense à ma place !”
J'ai trouvé ça tellement drôle.
Déjà la sœur n'était pas du tout à la masse avec cette histoire d’AI, mais surtout, le fait de ramener le sujet, non pas à la technologie de façon conservatrice ou dogmatique, mais au véritable risque potentiel des AI : “laisser une machine penser à sa place” ; m'a semblé d'une grande sagesse.
Sans compter l'épisode où la sœur me disait qu'il était délirant d'être pénalisé pour avoir des stocks au 1er janvier alors que la période des fêtes était propice aux achats donc au réassort.
Elle m'a même dit :
🙏 “Moi si j'étais présidente, je changerais ça” avec ce même sourire jovial que je commençais à lu envier;
Je lui ai dit :
🙋♀️ “Pas sûre que vous seriez à la bonne place ma sœur ! “
🙏 “Ah non, pas sûre non plus. Avoir un tel goût du pouvoir n'est pas la place de tous.”
🙋♀️ “Du pouvoir quoi qu'il en coûte !” (Je m'attendais à un flop)
🙏 “Quoi qu'il en coûte, c'est ça !” a répété la sœur en riant, visiblement très au fait de la ref.». Coucou Manu, et joyeux Noël ! 👋
Bref, j'ai discuté avec une sœur bénédictine de 93 ans et je peux vous dire qu'elle est religieuse et « en même temps », elle croque la vie. 🍎
Fascinant.
🎶 Scène #10 : dernier repas en musique aka “la cène” sans larsen.
Dernier dîner à l'abbaye.
J'avais laissé en suspens mon jour de départ mais dans l'après-midi du 26 décembre, je me suis décidée à plier bagages le 27 décembre dans la journée.
Au-delà du fait que je sois en train de développer une angine survoltée, je me disais avoir vu, vécu et reçu ce que je devais voir, vivre et recevoir.
C'était peu en nombre d'heures mais c'était un défi pour moi de partir 72 heures à un tel moment de l’année.
Je l'avais fait et j’y avais puisé les lignes que vous venez de lire et quelques autres échanges que je garde à l’écart du Web.
J'espère que vous avez aimé voyager avec moi, dans les couloirs de l'abbaye de Limon.
J'espère que peu importe votre posture spirituelle ou non spirituelle, vous avez ressenti et apprécié tout ce qui peut jaillir des rencontres entre humains, dès lors qu'ils ne se jaugent ni ne se jugent des pieds à la tête, à la recherche du moindre trait à critiquer.
J'espère que vous êtes enthousiastes à l’idée de (re)partir à l'aventure avec moi en 2024, par le biais de futures histoires.
Avant de clore ce récit, j'aimerais vous confier une question que Patrik m'a posée lors de notre dernier dîner.
👨🦰 “Est-ce que tu crois qu'il y a un lien entre mon approche créative par la peinture et ma vision du monde ?”
Je lui ai répondu (pour rire, par une autre question, coucou Socrate !) :`
🙋♀️ “Dans quelle mesure l'acte créatif est-il le reflet de notre rapport au monde ?”
Et j'ai ajouté :
🙋♀️ “ En fait, pour moi les deux sont intimement liés. Je crois que notre manière de créer découle de notre manière d'être, donc notre vision créatrice est indissociable de notre vision de la vie.”
Patrik a souri et répondu :
👨🦰 “Il faut que je réfléchisse à ma vision du monde alors !”
🙋♀️ “Mais tu m'en a parlé hier, et des chacun à se relier à qui il ou elle est vraiment à travers l'art !”
[Maïeutique socratique jamais en vacances.]
Patrik a ajouté :
👨🦰 “C'est ça ! Et je dirais même faire de l’art un chemin de sanctification”
🙋♀️ “Ouais bon ça c'est la vision religieuse des choses ; ça veut dire quoi “être saint” de toutes manières ?”
👨🦰 “En langage populaire ça veut dire : devenir la meilleure version de soi-même”
🙋♀️ “Ark, j'ai horreur de cette expression ! Alerte novlangue, Alerte signal !”
👨🦰 “Je sais, m'a dit Patryk en riant, tu m'as demandé une expression mainstream :) Et en fait c'est ça la sanctification ! C'est devenir la plus belle personne que l'on est appelée à être, selon la vision divine !”
[NDLR : vous pouvez remplacer “divin” par ce que vous voulez “le destin”, “l'univers”, “l'amour universel”, “la vie”, etc.]
Je crois que cet échange résume à lui tout seul le cœur des questionnements de toutes les personnes que j'accompagne.
Un peu moins pour les challenges BILS qui sont plus courts et ludiques, mais clairement pour les parcours de storytelling ou les coaching BILS 1-1 ; les 3 questions que chacun(e) se pose dès le départ ou à un moment dans son parcours, sont toujours les mêmes :
Qui sui-je quand je suis Moi ?
Quelle est ma place ?
Que dois-je faire/qui dois-je être pour avoir le plus d'impact positif dans le monde ? (et même pour écrire avec Force et Style sur Linkedin, il faut se poser ces questions)
Ces 72 heures dans une abbaye ne m'auront pas permis d'y répondre ; du moins pas au moment où j'écris ces lignes (c’est un peu tôt encore :)) mais elles m'auront confirmé plusieurs choses essentielles.
💙 Peu importe notre spiritualité, notre métier, notre âge, notre état de santé, notre situation sociale et familiale :
Les humains sont reliés par des quêtes bien plus fortes que leurs différences.
L’habit ne fait pas le moine :)
Les aprioris sont dangereux.
L'intuition est une perception fine qui s'est allégée d'une couche d'aprioris.
Changer de cadre, de repères aide à savoir ce qui est important pour soi versus secondaire.
Exemple : j'ai continué à lire, à écrire (tout ce récit, à la main, dans un carnet, oui, oui !), à discuter et à marcher en pleine nature ; mais j'ai coupé les réseaux, le boulot, les échanges WhatsApp.La liberté est vertigineuse, c'est pourquoi tant de personnes bourrent leurs agendas, souffrent de compulsion voir d'addiction (ceci ne sera jamais un jugement). Il est parfois plus rassurant d'être prisonnier que d'être libre.
La foi est un vecteur de reliance à plus grand que soi qui nourrit le besoin de transcendance inhérent à tout être humain. Mais il existe plein de voies possibles au sein d'une religion (ou en dehors) pour répondre aux différentes sensibilités humaines ; les chants latins et le grégorien ne sont résolument pas alignés à ma sensibilité (vous l’aurez compris), mais “c’est ok” (comme on dit dans le jargon du coaching ;)) !
L'écriture est une chance qui permet de protéger, de garder en mémoire, de digérer, de réparer, de comprendre, d'offrir des tranches d'existence.
Je vous souhaite une excellente fin d'année 2023 j'ai hâte de vous retrouver en 2024 pour de nouveaux et nombreux écrits, projets, défis, parcours et voyages BILS. Boum, Boum !
🎬 Storytelling PS :
Pour raconter mon histoire de 72h au sein de cette abbaye, j’ai puisé directement dans les travaux du scénariste John TRUBY qui parle d’histoires « organiques », autrement dit « vivantes » et non fabriquées.
En me référant à 8 des points clés que TRUBY aborde dans son livre de référence “l’Anatomie du scénario”, j’ai pu mieux identifier ma quête, ce qui s’y opposait (mon antagoniste), comment je procédais pour la poursuivre (mon action principale), à quelles faiblesses personnelles je me confrontais et quels choix je devais faire pour espérer vivre une transformation même mineure de cette expérience en quelque chose de fertile.
👉 J’aborde tous ces points jour après jour, de façon très pédagogique et initiatique dans le nouveau parcours de Storytelling BILS en 21 jours.
Le 3e parcours de Storytelling BILS aura lieu du 4 au 25 février.
C’est une expérience intimiste, remuante et éclairante - totalement underground - qui vous aidera à adopter le regard d’un scénariste pro sur votre propre histoire, pour mieux vous la raconter et mieux la raconter au monde.
Une vingtaine de participant(e)s témoignent déjà :
A l’année prochaine et à très vite pour le 4e Challenge BILS qui commence le 4 janvier :)
Pensez à partager ce récit à au moins 1 personne qui pourrait y trouver de l’inspiration, des réponses ou davantage de questionnements :) Et n’hésitez pas à me répondre en privé directement par mail.
Merci ++ !
Marie.
https://liturgie.catholique.fr/celebrer-en-toutes-occasions-sacramentaux/liturgie-des-heures/les-differents-offices/soir-vepres/
“Femmes qui courent avec les loups” - Clarissa Pinkola Estés
(idem)
https://www.visorando.com/randonnee-une-histoire-d-eau-sur-le-plateau-de-sac/
https://www.inserm.fr/actualite/therapies-psychedeliques-une-panacee/