En ce moment, ça pue le blocage à tous les étages.
Jeudi après-midi, je me connecte sur mes réseaux habituels et je découvre un truc inhabituel. Une personne de mon réseau online avec qui j’avais de belles et profondes conversations a retiré sa photo de profil sur Whats App.
Oh wait, rectification : je ne voyais plus sa photo de profil.
Prise de doute, je file sur Linkedin : je n’ai plus accès à son profil.
Verdict : j’ai été bloquée.
Sans explication, sans préavis franc, sans raison claire.
Je sonde un peu autour de moi et je réalise que ce comportement devient légion. Entre la trend triste du Hikikomori qui désigne ces japonais si désabusés du monde qu’ils ne quittent plus leur chambre pendant des mois, parfois des années, en se reliant aux autres par le seul biais des réseaux, et la recrudescence d’échanges online - il semblerait que la relation à l’autre soit de plus en plus jetable.
On ne discute plus, on ne débat plus, on ne s’exprime plus. Ça passe ou ça bloque - en un clic. Et ça ne prend même pas le temps de craquer entre les deux.
Un peu plus tard, j’écoute une interview par Chris Do d’un créateur de contenu omniprésent sur Linkedin : Jasmin Alic.
L’épisode est de qualité. Ça parle tactique de post, ça parle stratégie de comm, ça parle écriture online. Puis vient le sujet des IA et du tsunami de commentaires désormais produits par des IA sur Linkedin.
J’ai fait un post spécifiquement là-dessus cette semaine.
Je m’attendais à une prise de position modérée voire un peu démago de la part de Chris Do et de Jasmin Alic, mais pas du tout. Les deux étaient remontés comme des pendules contre le système.
À la fin de l’émission, ils annoncent tous les deux la couleur : quand on prend le temps d’écrire un post avec son cerveau humain (sans confier sa pensée à Chat GPT pour le faire à sa place), on s’attend aussi à échanger avec d’autres humains en commentaires. Pas avec leurs avatars robotiques. La BASE.
Jasmin apporte malgré tout une nuance intéressante :
“Un jour, j’ai littéralement vu quelqu’un trembler de tout son corps à l’idée de publier un commentaire sur Linkedin. Ce jour-là, j’ai compris qu’il y avait un truc que je n’avais pas réalisé : plein de gens ont foncièrement peur de s’exprimer publiquement à l’écrit. Pour ces gens-là, l’utilisation de l’IA a du sens, mais s’il vous plait : ne faites pas du copier-coller. Servez-vous de la proposition de l’IA et réécrivez-la ne serait-ce un tout petit peu pour que l’on sente que c’est bien vous qui écrivez”.
C’est une remarque que je me suis faite assez récemment aussi.
J’ai compris que des gens avaient vraiment peur.
Mais mon job à moi c’est d’empuissancer les autres à retrouver leur courage et leur force de dire, pas à leur filer des béquilles qui ne les feront jamais grandir.
Les rafales de commentaires par IA, quand il ne s’agit pas d’une paresse intellectuelle et humaine sans nom, sous prétexte de gagner en productivité, n’apportent rien ni à l’auteur(e) du post, ni à celui ou celle qui cherche à exister mais qui abdique devant sa propre pensée vacillante.
Alors que s’entraîner à écrire, même quelques mots ou quelques phrases. Apprendre à structurer sa pensée ; à exprimer ses émotions ; à verbaliser ses désaccords, ses convictions, ses points de vue, ses passions ; même dans un carnet secret, sont autant d’armes qui transforment un Homme bloqué en Homme émancipé.
Et comme dirait Chris Do qui s’emporte à peine au moment de la conclusion :
“Faites-vous en pousser une paire, merde. Si vous n’essayez jamais vous ne grandirez jamais”.
Qu’il s’agisse de couilles ou d’ovaires, ça marche dans les deux cas et ça me semble être un bon deal.
Mais ce n’est pas fini.
À deux reprises cette semaine, j’ai été confrontée à un deuil.
La 1e fois, de manière indirecte. Quelqu’un de mon réseau, m’a contactée pour me demander “comment trouver les mots pour écrire à la famille d’une personne disparue”.
La mort est aussi naturelle qu’absurde, elle nous mure et nous bloque souvent. Je le comprends.
La 2e fois, de manière directe. J’ai moi même voulu envoyer quelques mots d’affection et de soutien à des proches de ma famille concernés par une mort assez brutale.
Dans les deux cas, j’ai opté pour la seule et même chose qui compte partout - en ligne ou hors ligne : parler avec son coeur.
Et c’est là que toute cette édition prend son sens.
J’écris en ligne depuis 12 ans et j’ai fait des milliers de tests éditoriaux ; j’ai cherché ma voix ; j’ai cherché à concilier mes valeurs avec les impératifs de visibilité inhérents au business ; j’ai cherché à casser les codes mais pas trop ; à les suivre mais pas trop ; à être visible mais pas trop ; à être humaine mais pas trop exposée.
Je me suis arraché les cheveux, j’ai transpiré, j’ai publié, publié, publié.
J’en suis venue à un constat assez simple.
Pour ne pas être bloqués dans un silence oral ou écrit, pour trouver les mots en toute circonstance et pour avoir l’impact que l’on veut sur les personnes que l’on vise : il faut combiner coeur et efficience.
Trop de personnes confondent “parler avec son coeur” et inonder les autres des moindres circonvolutions de leur affect. C’est souvent trop long, trop détaillé, trop intime. C’est un peu gênant. Cela n’a pas sa place en public.
D’autres à l’inverse, veulent persuader, convaincre, convertir. Alors elles envoient du copywriting pleine balle. Elles font des phrases courtes. Elles jouent avec des biais marketing. Elles tabassent et on ne sait plus qui parle quand elles écrivent tellement leur plume est raide et aseptisée.
Je crois vraiment qu’il existe non pas un “entre deux” (je déteste le consensus lassant de l’entre-deux autant que les ventres mous), mais une alliance entre ces deux pôles.
Il s’agit d’écrire des pensées vraies, profondes et sincères - avec des mots sobres. Quitte à caser, ponctuellement, juste pour le plaisir du contraste, quelques mots plus sophistiqués.
Je vous garantis qu’une IA ne sait pas faire ça.
Une IA sait écrire un texte sirupeux autant qu’elle sait écrire un post mitraillette. Mais elle ne sait pas combiner le coeur et l’efficience. Elle ne sait pas dire des choses profondes avec des mots simples tout en insérant des mots moins banals ou des concepts plus denses là où on les attend pas. Elle ne sait pas casser le rythme, susurrer des subtilités entre les lignes, transmettre de la poésie sans en faire des caisses, faire passer un message avec chaleur. Elle ne sait pas. Elle est bloquée en mode désincarné.
Et c’est bien comme ça.
La seule chose que je vous demande si vous m’avez lue jusque là, c’est de ne pas plonger avec elle. Servez-vous en pour vous émanciper, pas pour renoncer à ce que vous n’arrivez pas à dire.
Le monde a besoin de femmes et d’hommes qui parlent avec leur coeur, même quand il est déchiré. Le monde a besoin de femmes et d’hommes qui osent l’altérité. Le monde a besoin de femmes et d’hommes débloqués.
Marie.
💙
Merci Marie, ça fait du bien de lire ça. Oui, le monde a besoin qu'on se parle, à tous les étages :)
Magnifique newsletter et message, merci pour ce mail qui donne de la force et l'envie de continuer d'écrire avec ma propre patte !