🤖 Est-ce que Linkedin nous rend stupides ?
🌹 Missive BILS du 12 décembre 2023.
« C’est à condition de ne pas faire de chaque mot prononcé un signalement identitaire que l’on retrouverait enfin la richesse d’une langue et les promesses d’une pensée » (Julia de Funès, Le siècle des égarés)
Hello à vous 💙
Bienvenue dans cette nouvelle édition de la “Missive BILS” dans laquelle j’adopte une ligne éditoriale plus libre, à cheval entre l’analyse et le billet d’humeur.
Retrouvez les 3 autres concepts éditoriaux BILS :
🔎 Ligne Editoriale : je décrypte la ligne éditoriale Linkedin d’une personne qui s’exprime avec force et style, pour vous aider à bâtir la vôtre.
💌 Correspondances : j’échange par mails successifs avec une personne créative triée sur le volet.
🪶 Conseils d’écriture BILS : je vous propose des conseils d’écriture applicables dans votre vie pro comme perso, pour renforcer l’impact de vos mots.
👄 Mot de l’année
Divers media se lancent actuellement dans le concours du “mot de l’année” en incitant leurs audiences à voter pour leur mot préféré parmi une sélection fine.
🇧🇪 Chez nos amis belges, nous avons des propositions comme : “Cyclostrade”, “Décommémoration”, “Justice restaurative”, “prompter” ou “sologame”.1
🇬🇧 Nos voisins britanniques auraient quant à eux déjà voté pour le terme argotique “rizz” qui signifie “style, charme, séduction, capacité à attirer un partenaire amoureux ou sexuel".2
🤖 Et Google, lui, s’en tient à la data : le mot le plus recherché en France en 2023 ne serait autre que “Chat GPT” (devant “Chemsex” et “Kylian Mbappé”).3
Je suis surprise de ne pas voir les mots “hacks” et “templates” dans les short lists de cette fin d’année 2023, tant ces termes sont devenue monnaie courante sur Linkedin.
Mais d’une Linkedin n’est pas le web tout entier ; et de deux, ces mots n’ont (malheureusement) pas grand chose de nouveau.
Malgré tout, la fascination (légitime) pour Chat GPT me questionne.
Ce ne sont pas les IA qui me font peur, ni même les risques de piraterie qui en découlent déjà à plein régime (cet article de Benoît Raphaël sur le sujet est brillant et le jeu qu’il relaie à la fin pour tenter de hacker une IA est génial !) - c’est ce que les gens en attendent.
💎 Mieux > Plus
L’obsession du “plus” et du “plus vite” semble toujours faire rêver une partie de la population (pas toute, heureusement) en quête perpétuelle de “gains de temps” et de “productivité”.
Il faut trouver des moyens de poster plus, plus vite, voire de prompter suffisamment bien ses IA pour qu’elles commentent à notre place.
L’objectif n’est plus de “faire” (encore moins “d’être”) mais “d’avoir fait”.
Je crois pourtant qu’en shuntant de trop nombreux processus pour “avoir fini” le plus vite possible tout ce que nous entreprenons, nous passons à côté de la force du chemin.
Écrire, en particulier, peut être un chemin de croissance personnelle et collective, un chemin d’apprentissages multiples, un chemin d’apaisement, de liberté et de plaisir.
Mais que reste-t-il de cela si nous consentons à prompter des robots pour qu’ils parcourent le chemin à notre place ?
Sommes-nous bien conscients de ce que nous perdons, en contrepartie du temps et/ou du volume de réponses que nous gagnons ?
😈 Trolls artificiels
Dans le lot de l’usage des IA, il y a des requêtes qui me semblent absurdes comme le fait de donner à une IA sa liste de tâches de la journée en lui précisant leur niveau de priorité pour qu’elle vous sorte un planning minuté (d’une je serais incapable de survivre plus de 24h à un quotidien minuté, de deux je fais mes planning en quelques minutes toute seule).
Mais d’autres requêtes ne se contentent pas d’être stériles, elles sont potentiellement nocives.
Comme il y a quelque jour, quand au détour de mon post du 26 novembre sur l’expression “je n’ai rien à vendre”, un mec inconnu au bataillon est venu m’accrocher en commentaire sur un aspect insignifiant de mon post.
Ses remarques étaient robotiques, à coté de la plaque et plus il restait impassible (comme une IA), plus je lui rentrais dedans.
Une autre personne qui me lit s’est jointe à la conversation et nous avons fini par en déduire que nous parlions soit à un idiot soit à un robot.
J’aurais bien aimé vous montrer une copie écran de la conversation, mais… depuis, elle a disparu :)
Autre exemple plus récent, avec ce commentaire ubuesque sous un de mes posts annonçant une nouvelle édition de mes décryptages de lignes éditoriales :
La personne en question m’a ensuite répondu qu’elle avait à peine ouvert ma newsletter et qu’elle l’avait lue en diagonale.
Qu’elle ait eu affaire à une IA pour son premier commentaire ou qu’elle ait succombé à l’impulsivité du commentaire irréfléchi, le résultat est proche : c’est mauvais, ça fait du bruit et ça ne sert à rien.
Prendre le temps d’écrire, de lire, de commenter, de donner son avis de manière constructive et respectueuse, est devenu aussi rare que précieux.
Sans compter, au-delà de l’execution machinale de la plupart de nos actions en ligne, la pauvreté de leur contenu quand nous nous y adonnons.
🧠 Anti-signal
Dans son livre “Le siècle des égarés”, Julia de Funès critique de manière constructive et éclairée, l’obsession “identitaire” de notre époque, où chacun(e) a plus à coeur de se rattacher à un clan existant (tout en décriant “les étiquettes” - lol.) qu’à penser par lui/elle-même.
« C’est à condition de ne pas faire de chaque mot prononcé un signalement identitaire, que l’on retrouverait enfin la richesse d’une langue et les promesses d’une pensée » (Julia de Funès)
Cette propension à s’exprimer en singeant “les autres” plus que par élan authentique, ne fait de bien à personne.
Et si les IA ne font rien d’autre que prédire des brochettes de mots les uns après les autres en imitant les humains, écrire avec sa propre plume, sans adjuvant artificiel reste le medium le plus fabuleux et le moins cher que je connaisse pour cultiver la force de sa pensée, pour explorer son style et pour créer de véritables liens.
💥 Point Godwin
J’aimerais conclure en parlant du “point Godwin” : formule virale qui décrit notre incapacité à discuter convenablement.
A partir des travaux du philosophe Léo Strauss en 1950, Mike Godwin élabore 40 ans plus tard une théorie (attenant plus à la provocation qu’à la science) selon laquelle toutes les conversations en ligne, finiraient tôt ou tard par “disqualifier l’argumentation de l’adversaire en l’associant à Hitler, au Nazi ou à toute autre idéologie honnie de l’Histoire.”4
Pour faire simple : les gens seraient tellement incapables de discuter intelligemment, qu’à un moment dans la conversation, l’un ou l’autre des interlocuteurs en viendrait à qualifier l’autre d’extremiste en faisant référence aux idéologies les plus abjectes de l’Histoire.
Exemple absurde et fictif voué à renforcer la définition ci-dessus : “tu trouves que les mouvements féministes n’ont rien à faire sur Linkedin ? T’es vraiment le Hitler de l’émancipation des femmes.”
🌍 Perspective 2024
Aujourd’hui, à quelques semaines de l’année 2024, cette missive nous amène à réfléchir à 3 choses :
Pourquoi avons nous besoin d’écrire publiquement ?
Qu’avons nous besoin de dire ?
Qui désirons-nous rencontrer ?
→ Si la seule finalité de la 1e question est de générer des chiffres (vues, réactions, commentaires, visites de profil, DM …) - l’action d’écrire est incomplète.
→ Si la seule réponse à la 2e question est de faire l’apologie de qui nous sommes et de ce que nous faisons - l’action d’écrire est inconsistante.
→ Si la seule réponse à la 3e question se limite à nos prospects ou clients - l’action d’écrire est insuffisante.
Ecrire sur un média social comme Linkedin n’a de sens que si nous écrivons pour incarner une cause plus grande que nous qui nous relie aux autres.
Les alternatives sont au mieux partielles, au pire abrutissantes.
Certains diront que je place la barre haut et que je suis exigeante.
D’autres sauront que je place la barre simplement à la hauteur des désirs profonds d’un grand nombre de femmes et d’hommes : écrire avec force et style pour avoir un impact positif sur le monde sans jamais se renier.
Je vous souhaite de belles semaines, en attendant Noël 🌟
Marie 💙
💙 Annonces BILS :
Il reste 2 places pour le Challenge d’écriture BILS de janvier (4 au 24)
Le prochain parcours BILS de storytelling aura lieu en février (4 au 22)
Prochaines dispos pour un Coaching BILS 1-1 : avril 2024
https://www.lesoir.be/553876/article/2023-12-06/le-mot-de-lannee-2023-tient-sa-selection-de-dix-finalistes-vous-de-voter
https://www.doctissimo.fr/psychologie/rencontre-amoureuse/decouvrez-le-mot-de-lannee-2023-consacre-a-la-seduction-selon-le-dictionnaire-anglais-oxford/2d5602_ar.html#:~:text=L'%C3%A9diteur%20du%20c%C3%A9l%C3%A8bre%20dictionnaire,par%20l'acteur%20Tom%20Holland.
https://www.huffingtonpost.fr/insolite/article/chatgpt-chemsex-et-kylian-mbappe-google-publie-le-classement-des-mots-les-plus-recherches-en-france-en-2023_226867.html
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/ce-qui-nous-arrive-sur-la-toile/pour-en-finir-avec-le-point-godwin-1024357
J'ai adoré (comme toujours) ta missive Marie en particulier la partie "Mieux>plus" parce que la notion de "course", de "temps" est un défi. Je prône la culture du "temps long" à l'image de la plante sur laquelle on ne peut tirer la tige pour qu'elle pousse plus vite. Tout en s'assurant de ne pas être inerte, immobile. Périlleux équilibre!
J'ai en tête depuis plusieurs années une phrase de Léonard de Vinci "rien de bon ne nait dans la précipitation".
Lorsque je me laisse embarquer dans la folie ambiante, je fais un pas de côté et je repense à cette phrase.
Désormais je repenserai aussi à ta missive.
La prochaine fois, je repenserai également à ta missive