[Temps de lecture : 10 min]
Mes chers readers :
(Cela m’évite la double formule féminin/masculin qui ruine le flow de tout texte)
Nous ne sommes que Lundi mais je dois vous raconter cette courte histoire.
Après laquelle votre semaine pourrait ne plus être la même.
Savez-vous pourquoi Socrate a été mis à mort ?
Parce qu’il cherchait la vérité. Et surtout parce qu’il la déterrait.
Fils d’une maïeuticienne (sage-femme); Socrate voulait non pas faire accoucher les corps, mais les esprits.
Il refusait de s’exposer sur toute sortes de piédestaux physiques et intellectuels, qui l’aurait positionné en sachant dominant. #influence
Il refusait les formules verbales aussi séduisantes que dépourvues de sens qui auraient pourtant aimanté plus d’un chaland. #punchline
Il refusait la pensée dogmatique et unique, si facile à déployer au sein de foules animales, avides d’impostures à aduler. #nudge
Son art à lui, c’était celui du questionnement.
Oser la question pointue, précise et juste à laquelle l’autre ne s’attendait pas. Pour l’aider à trouver sa propre voie. Pour le guider vers ses richesses intérieures. Pour lui donner les armes de sa liberté.
Un crime. Devant lequel, dans son article “De Socrate à Kant, le courage de la vérité”1, Frédéric Gros écrit :
“Les juges lui proposent d’échapper à la peine capitale à la seule condition qu’il cesse de hanter l’agora pour questionner les uns et les autres, et surtout leur faire perdre la face par ses questions incessantes et insistantes.
Et Socrate de répondre qu’il serait un bien mauvais hoplite* s’il se laissait effrayer par des menaces de mort et abandonnait la place que le dieu lui a assignée.”
Un *hoplite était un combattant de la Grèce Antique.
Socrate en était un. Non par les armes lourdes des fantassins ordinaires, mais par les mots. Des mots si forts, qu’il en est mort !
Le courage d’être à sa place
Parce que Socrate détenait la plus grande arme de tous les temps.
Celle que nous cherchons tous toujours autant, quelques 2400 années plus tard. Entre opulence de solutions de développement personnel et absorption boulimique de textes inspirationnels.
Le courage d’être soi même.
Les yeux rivés sur sa raison d’être. Hermétique au chant des sirènes ou aux hurlements des jaloux. Socrate n’avait que faire du prêt à penser.
Frédéric Gros évoque d’ailleurs le courage de Socrate non pas comme : “une fureur héroïque, à la limite d’un aveuglement faisant perdre toute conscience du danger”, mais comme un ancrage identitaire indéboulonnable.
Une posture forte.
Je ne vous encourage pas à mourir pour vos idées (!), mais…
Lors de mon court passage à l’armée, j’ai entendu deux phrases que je n’oublierai jamais.
La 1ère m’a fait quitter l’institution :
“Réfléchir c’est désobéir”. #noway
La 2ème m’a fait réfléchir :
“Les héros il y en a plein les cimetières.” #ok
Cette dernière phrase était pleine de bon sens. Elle incitait chaque militaire à ne pas risquer sa vie pour de mauvaises raisons. Principalement celle d’un ego en quête maladive de pouvoir.
Et pourtant, on peut être un héros sans en payer le prix de sa vie.
On peut être tout simplement … le héros de SA propre vie.
Il suffit de faire un choix.
Faire un choix démocratique : la parrêsia
Ce terme grec désigne exactement ce que je vous décrivais dans la missive “cessez d’être vous-mêmes, soyez persuasifs.”
Il s’agit d’oser “tout dire”, mais pas n’importe comment.
“C’est un tout dire qui ne craint pas la honte, mais la lâcheté.
Celui qui doit tout dire, ce n’est pas le pécheur devant son confesseur ou l’enfant à ses parents. C’est l’homme politique à l’Assemblée, qui ne doit rien cacher à ses concitoyens ni de la gravité de la situation présente ni de la dureté des choix à faire.
Pilier de la démocratie, car sans ce courage toute démocratie s’altère, se corrompt et sombre dans la démagogie.
L’ennemi de la parrêsia, de cette prise de parole directe, c’est la flatterie, la rhétorique du démagogue qui ne cesse de cacher ses convictions (pour autant qu’il en ait) et s’attache surtout à sentir les opinions dominantes afin de les caresser.”
Être en démocratie, ce n’est pas se conformer à l’opinion dominante, c’est oser être et penser librement - puis le dire sans craindre la colère ou l’humiliation du tout venant.
Être en démocratie, c’est laisser l’autre exprimer tout ce qu’il souhaite même ce que l’on ne peut accepter ou entendre.
Être en démocratie, c’est avoir le courage de prendre sa place et de l’aimer. C’est aussi vivre pour la vérité. Et ne pas renoncer à sa liberté.
En ce 2ème lundi de février 2022, je vous invite à reconquérir vos droits à la parole.
N’attendez plus la permission d’un algorithme ou d’une bulle de pensée concoctée par le metavers pour dire ce que vous avez à dire, avec les mots que vous aurez choisi d’employer.
Ayez le courage de trouver votre place et de la prendre.
Soyez précis, pointus, fins, singuliers et engagés.
Le monde a besoin de vous (vivants),
💙
Marie.
-
A ce sujet sur Linkedin :
https://www.cairn.info/revue-inflexions-2013-1-page-141.htm
J'ai vraiment apprécié cet épisode. ^^
Belle missive... Dans l'idée, il existe une vidéo de Thomas D'assembourg : Cessez d'être gentil soyez vrai.