🎙 Interview - "La honte doit changer de camp", avec Mathilde Gaymard - co-fondatrice nümorning

{ITW 🎙 « MOTS » - Cycle II}

Chères lectrices, Chers lecteurs,

Je vous invite sans transition à plonger dans l’interview bi-hebdomadaire BILS sur le thème des MOTS. Parce qu’au delà du témoignage, cet échange est aussi une urgence. Soyez prêts. ✊ 💙

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Marie 🦅 :

Chère Mathilde, Chère soeur !

Il y a quelques années tu as décidé de quitter une grande entreprise du secteur agroalimentaire (qui a récemment vu son PDG se faire évincer par son conseil d'administration) pour repenser à ta manière notre rapport à l'alimentation, à la Terre, à l'environnement et .... au matin !

Tu as co-créé nümorning avec David Carle.

nümorning est une marque de granola, porridge, latte et même d'une gamme de céréales pour enfants, dédiée coeur, corps et âme au petit déjeuner. 

Depuis notre enfance aux USA et ton expérience londonienne, tu as gardé à la fois ce goût des produits céréaliers mais aussi une conviction quasi obsessionnelle de la puissance de chaque matin.

Pour toi, toute nouvelle journée est une occasion de contribuer à la société, de la rendre meilleure, de grandir, d'avancer. Il faut soigner son éveil au monde à chaque réveil.

Comme toute entrepreneure, tu as connu les montagnes russes de la création, production et distribution de produits alimentaires. Des problématiques d'image, de positionnement, d'identité visuelle et éditoriale.

Tu as connu les joies de voir nümorning distribuée dans de beaux lieux de vente et la déception d'entendre d'autres portes claquer.

Tu as aussi découvert la difficulté du recrutement juste : trouver les bonnes personnes pour faire grandir sa marque quand on n'a pas encore les moyens de se rémunérer soi-même.

Tu as fait 1000 sacrifices.

Mais, tu ne pensais pas faire face aussi tôt, aussi vite, à un cas de harcèlement sexuel.

Dans ta propre équipe. Toi qui connais parfaitement chaque personne; toi qui n'as que des aspirations bienfaisantes; toi qui ne supportes pas que quiconque subisse le moindre irrespect; encore moins les femmes, puisqu'elles en sont malheureusement encore trop souvent la cible.

Et tu as dû trouver les mots.

Pour tous les chefs d'entreprise ou managers qui feront face à cette situation, pour qu'ils la décèlent avant qu'il ne soit trop tard et pour toutes celles qui mettent tant de temps avant de parler de ce qu'elles subissent, je t'ouvre cette tribune BILS toute entière.

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Mathilde 🥣 :

Chère Marie, Chère sœur,

Un grand merci pour cette invitation qui je dois l'avouer m'intimide un peu !

Trouver les mots justes en toute circonstance est pour moi un travail de toute une vie.

Par la force des liens qui nous unissent, tu as été témoin malgré la distance géographique de l'intensité de ce projet assez fou dans lequel je me suis plongée depuis 4 ans. J'avais pourtant tout pour vivre une vie bien tracée, et surtout bien paisible. Mais plus le temps passe plus je comprends que j'ai ce besoin irrépressible de sortir de ma zone de confort !

Il reste malgré tout des challenges qui semblent n'arriver qu'aux autres et que l'on préfèrerait éviter.

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Marie 🦅 :

DÉCOUVRIR LES FAITS.

Comment as-tu appris pour la 1ère fois qu'une personne de ton équipe, victime de harcèlement sexuel, souffrait en silence ? 

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Mathilde 🥣 :

“Je l'ai appris de façon très indirecte.

C'est mon associé David qui me l'a annoncé. Lui-même l'ayant appris d'une personne de l'équipe qui n'était pas directement concernée mais qui a ressenti le besoin de témoigner pour que cette situation cesse.

Les mots choisis dans ta question, "souffrait en silence", sont très à propos. L'existence d'une telle situation était pour moi inimaginable au sein de notre équipe.

Ce silence devait cesser, car le silence cautionne indirectement l'inacceptable.”

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Marie 🦅 :

DES MOTS SUR DES ÉMOTIONS.

Quelles sont les émotions que ces mots ont provoqué chez toi ? Il y avait sûrement de la rage, de la tristesse, de la culpabilité aussi peut être, quand on se dit que l'on aurait "dû voir" ?

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Mathilde 🥣 :

“Mon premier sentiment était un mélange de colère et de rage.

D'apprendre qu'une personne "profite" du silence de sa victime tout en ayant fait bien attention de rendre ses actes invisibles de David et moi, sans pour autant les cacher au reste de l'équipe !

Puis, quand nous avons annoncé à la victime que nous étions au courant des faits, et que je l'ai entendue, j’ai ressenti une profonde tristesse.

Tristesse de n'avoir rien vu pendant les semaines qui s'étaient écoulées et tristesse d'entendre de sa bouche qu'elle avait préféré étouffer sa peur et son malaise par crainte d'être à l'origine des répercussions qui suivraient. 

J'ai aussi évidement ressenti de la culpabilité de ne pas lui avoir donné le courage de se confier à moi plus tôt.”

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Marie 🦅 :

MOTS, ÉMOTIONS ET MOTION.

Quelle a été la séquence des évènements et le délai entre la découverte des faits, votre réaction à David et toi puis les mesures prises ?

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Mathilde 🥣 :

“David l'a appris le jeudi vers 16h (le coupable ne travaillait pas ce jour là).

Il m'a demandé de venir le voir pour m'en parler dans la foulée. Et notre décision a été immédiate, nous étions sous le choc mais totalement unanimes sur la décision à prendre.

Nous avons alors convoqué une autre personne de l'équipe, proche de la victime, pour voir si elle nous confirmait ce que l'on venait d'entendre.

Nous avons finalement demandé à voir la victime pour qu'elle puisse enfin se confier à nous.

C'est là qu'à ma colère s'est mêlée une grande tristesse. J'ai eu un vrai trop-plein d'émotions à ce moment précis.

Nous l'avons rassurée en lui disant que le coupable serait convoqué dès son arrivée le lendemain matin à 8h30 et qu'il quitterait l'entreprise définitivement et sans préavis.”

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Marie 🦅 :

DES MOTS VERS UNE VICTIME.

Quels mots avez-vous employés pour vous adresser à la personne victime des faits ?

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Mathilde 🥣 :

“Il y avait tellement d'émotions à ce moment-là que j'ai du mal à me remémorer mes mots précis.

Ce dont je me souviens c'est que nous lui avons dit que notre tolérance était absolument nulle pour ce genre de comportement.

Que ni le sexe, ni l'âge et encore moins le niveau hiérarchique ou l'ancienneté ne constituaient de circonstance atténuante.

Quand elle nous a avoué avoir eu peur d'être à l'origine du renvoi du coupable de l'entreprise, signe d'un altruisme poussé à l'extrême, je lui ai répondu que si elle ne le faisait pas pour elle, parler était aussi une façon de protéger le reste de son équipe de ces personnes toxiques.

Bien sûr j'aurais aimé qu'elle le fasse avant tout pour elle. Mais la connaissant je me suis dit qu'agir pour protéger le reste de l'équipe serait peut être un facteur qui la motiverait davantage...”

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Marie 🦅 :

DES MOTS VERS UN COUPABLE.

Quels mots avez-vous employés pour vous adresser à la personne coupable de harcèlement ?

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Mathilde 🥣 :

“C'est principalement moi qui me suis adressée à lui. Pour être très honnête je n'ai quasiment pas dormi la nuit qui précédait !

Comment trouver les mots pour expliquer l'inacceptable sans faire exploser ma rage…? J'avais tellement de choses à lui dire. 

Et je n'avais aucune idée de sa réaction : déni, rage, surprise, violence ?

Nous nous étions aussi dit avec David qu'il était important que cette personne entende d'une femme ce que nous avions à lui dire et que je n'apparaisse pas en retrait.

Malgré toutes mes appréhensions et mon manque de sommeil, mon calme et ma force m'ont surprise moi-même. Cette conversation a puisé de l'énergie très profond en moi. Ce qui m'a aussi beaucoup aidée c'est que je n'avais aucun doute sur le fait que notre décision était la bonne.

Je lui ai redit que son comportement était absolument intolérable.

Et que nous savions qu'il était conscient de sa culpabilité puisqu'il se gardait bien de rendre visible son comportement en notre présence.

Je lui ai aussi dit que je trouvais inadmissible qu'il profite de son statut (homme vs femme, poste à responsabilité dans l'entreprise, et supériorité marquée en âge) pour abuser de sa victime.”

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Marie 🦅 :

DES MOTS BLANCS.

Y a t-il des mots qui t'ont manqué ? Des choses que tu aurais aimé dire sur le moment ? Peut-être que tu peux les écrire maintenant ?

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Mathilde 🥣 :

“Une fois cet épisode passé, j'en ai reparlé quelques temps après avec la victime en 1-1, mais nous n'avons pas souhaité "en remettre une couche" en en reparlant devant le reste de l'équipe réunie.

Nous aurions peut-être dû, car il y a deux choses sur lesquelles j'aurais aimé insister auprès d'eux :  

• Personne ne doit jamais vous manquer de respect. Surtout pas au sein de l'équipe que nous formons.

• Ne négligez pas le force du groupe dont vous faites partie (entre amis, au travail, en famille, en public...). En tant que groupe vous avez le pouvoir de défendre une victime de son agresseur car vous serez toujours plus forts ensemble. A l'inverse, le silence cautionne, et n'aide pas la victime à oser lever la voix pour refuser cette situation. »

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Marie 🦅 :

NOUVEAUX MAUX, NOUVELLES PIERRES ?

nüMorning a toujours été une marque très engagée pour le bien commun et très éthique dans sa conception de l'équilibre humain, environnemental ; de la santé...
Est-ce que cet évènement a encore renforcé une prise de position particulière dans l'identité de nümorning ? Ajouté une nouvelle pierre ?

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Mathilde 🥣 :

“Cet épisode m'a montré à quel point le respect des individus, et particulièrement des femmes, me tenait à cœur.

Nous avons encore tellement de chemin à parcourir.

Et le monde du travail est un "théâtre" majeur de ces inégalités.

J'ai appris à la suite de cet évènement que plus d'1 femme sur 3 avait déjà été victime de harcèlement en entreprise, et on ne compte là que les cas qui osent en parler !

Cela m'a donné encore plus envie de faire de nüMorning un modèle en termes d'égalité et de respect des femmes. Il ne s'agit pas de faire de la ségrégation positive mais de permettre à chacun d'être respecté et d'obtenir des responsabilités, un salaire et une reconnaissance à la hauteur de ses compétences et non de son sexe ou de sa facilité à se mettre en avant.

Cela m'a donné aussi encore plus envie de donner cette impulsion aux gens d'être acteurs de leur vie, et conscients de tout leur potentiel. Potentiel que nous les encourageons à exprimer en prenant soin d'eux dès le matin.”

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Marie 🦅 :

PLUS DE MOTS, MOINS DE VICTIMES.

Quels mots adresserais-tu aux personnes (malheureusement souvent aux femmes) qui subissent toute forme de harcèlement dans une entreprise et qui se murent dans le silence ?

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Mathilde 🥣 :

“Je leur rapporterais les mots qu'a eu une personne de REVERTO, une entreprise lyonnaise engagée dans la prévention des risques psycho-sociaux, envers moi quand je me suis confiée à eux sur cet épisode : 

"La honte doit changer de camp".

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Marie 🦅 :

UN ESPACE VITAL POUR LES MOTS

Quels mots adresserais-tu cette fois aux entrepreneurs et aux chefs d'équipe pour les inciter à créer un climat de confiance où les victimes n'ont plus à se taire et les coupables plus l'impunité de détruire ?

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Mathilde 🥣 :

“Je leur dirais que même si nous avons le sentiment de créer un climat bienveillant et d'être proches de nos équipes, il ne faut pas oublier que nous ne pouvons pas tout voir, ni tout sentir. Et que certains comportements sont hors de notre portée.

Je leur dirais que même si nous sommes (trop) souvent submergés par la charge de travail et le stress de nos fonctions, il est important d'avoir de vrais temps d'échanges, où nous ne sommes plus acteurs (profitons-en !) mais spectateurs de ce que les personnes de notre équipe ont à nous dire.

Ces moments sont précieux et essentiels pour leur permettre de se confier. Cela demande une vraie capacité d'écoute, de leur tendre une main qu'ils ne saisiront pas toujours, mais qui dans certains cas pourra être salvatrice et les aider à oser exprimer un malaise !

Concernant les coupables, je pense qu'il est difficile d'espérer changer une personne qui a des vices profonds (comme c'était le cas pour le coupable en question chez nüMorning, et je l'ai appris plus tard). La seule chose qui est me semble-t-il davantage en notre pouvoir concerne le recrutement et l'importance de réussir à capter ce qui ne relève pas des compétences professionnelles mais du savoir-être préalablement à l'embauche.

C'est (très) loin d'être un exercice facile !”

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Marie 🦅 :

VISER LA LUNE LE POING LEVÉ ?

Pour finir sur une note plus légère, qu'as tu pensé de l'édition spéciale BILS "Avant je détestais le féminisme" qui met en lumière le court discours d'Amel Bent dans l'émission The Voice du 17 avril au sujet de la pression que la société exerce encore aujourd'hui, partout, sur les femmes ?

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Mathilde 🥣 :

“J'ai adoré, évidemment.

Le discours d'Amel a rappelé en moi les mêmes émotions que celles que j'ai ressenties lors de cet épisode chez nüMorning. De la colère pour toutes ces injustices et ce combat permanent et de la tristesse pour toutes celles qui n'osent pas. Qui n'osent pas parler, qui n’osent pas se défendre, ou tout simplement dire non.

Plus je grandis et plus j'ouvre les yeux sur tout ce qui sous-estime le rôle et la place des femmes dans notre société.

Je suis profondément convaincue de l'immense complémentarité des hommes et des femmes. Et je le vis d'ailleurs au quotidien dans le duo que nous formons avec David.

Notre monde a besoin des hommes autant qu'il a besoin des femmes, et cela pour des raisons bien distinctes. 

Mais j'ai l'impression que ces inégalités sont tellement ancrées culturellement que cela prendra bien plus de temps que ma propre vie ! Alors je me console en commençant par agir à mon échelle. Car j'ai cette chance aujourd'hui de pouvoir créer l'entreprise dans laquelle j'aurais aimé évoluer en tant que femme.”

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Marie 🦅 :

Merci infiniment Mathilde.

Je sais que de revenir sur cet évènement est à la fois une opportunité pour toi de témoigner mais aussi douloureux. 

Tu as vécu tout ça loin de ta famille, avec David, seuls face à ce que vous détestez le plus : l'injustice, l'irrespect, l'abus moral.

Je sais aussi que les lecteurs de cette missive ont ce supplément d'âme qui fera d'eux des relais de ton message !

D'ailleurs, pour ne pas perdre une seconde, je vous invite à partager l'interview de Mathilde en un clic. 

Mon hippogriffe, chouchou la chouette et moi vous embrassons affectueusement,

Longue vie aux entrepreneurs bienfaisants, longue vie à nümorning !

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Votre prochaine missive vous parviendra la semaine du 10 mai et nous entamerons la dernière quinzaine du cycle II, avec un fil rouge précieux : LA CRÉATIVITÉ (4e pilier BILS pour ceux qui suivent ^^).

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