Pendant bien trop longtemps je n’ai trouvé ma place nulle part.
Ayant appris à lire très jeune, j’étais en avance sur la scolarité “normale” et j’ai sauté une classe. Mais l’avance intellectuelle n’évolue pas toujours en harmonie avec la maturité affective. On peut avoir le cerveau qui fuse et le coeur qui a besoin d’amour XXL, comme dirait Mylène Farmer 💙
Puis, mon père a été muté aux USA dans le Maryland. Un comble quand on s’appelle Marie. Pourtant en arrivant là-bas à 8 ans, j’ai eu l’impression d’être tout sauf dans mes Quartiers Généraux.
Aux US, si vous ne parlez pas américain, vous êtes mort(e)s.
La xénophobie est au coin de toutes les rues. Il faut se fondre dans la culture “stars and stripes” ou crever. Inutile de vous dire que j’ai appris à parler anglais à vitesse grand V.
Unfortunately — pendant 24 mois et malgré avoir prodigieusement chopé l’accent de la “East Coast”, je suis restée inexorablement assignée au titre de : “little French girl”. Non assimilée.
De retour en France dans un collège très élitiste, armé d’une section anglaise, je me fais allumer quotidiennement parce que j’ai l’accent américain, parce que j’utilise des expressions américaines et parce que c’est une section “British”, merde !
Je découvre alors la violence d’un monde adulte qui ne supporte pas ce qui diverge, ce qui dissemble, ce qui rayonne — autrement.
Ma scolarité se déroule avec heurts et toujours suivant ce fil rouge d’un non conformisme ni fabriqué, ni revendiqué, pourtant vu comme un danger.
Arrivée en 1e, je suis terrassée par l’absurdité d’un programme étriqué.
J’aime les Lettres ET les Sciences. Mais le système me demande de choisir mon camp. La France semble avoir oublié le génie de la Renaissance où l’écrit jouait un rôle fondamental dans les milieux politiques et intellectuels.
En 2000, il faut se couper en deux : être scientifique (S) - ou - littéraire (L).
Heureusement, un groupe d’enseignants lance une idée folle et superbe : créer une classe pilote SL, dans laquelle un tout petit groupe d’élèves aussi déjantés qu’eux suivraient le programme officiel S ET le programme officiel L, en même temps.
Je saute sur l’occasion et pendant 1 an, je me nourris du meilleur des sciences et des lettres. Il n’empêche que mes résultats sont mauvais. Malgré ce que mes profs littéraires qualifient de “belle plume”, j’enchaîne les dissertations hors-sujets. Et malgré mon esprit clair, je multiplie les notes abyssales en Maths.
J’ai la chance d’avoir des parents qui croient en moi, qui ne me mettent aucune pression et qui savent que mes notes sont la manifestation de mon inadéquation à un moule scolaire étouffant, pas une disqualification de ma valeur. Merci Papa, Merci Maman. Heureusement que vous étiez là pour moi, mais c’était chiant.
Je termine poussivement mon lycée et 3 mois après le Bac, j’embarque dans 5 ans d’Ecole d’ingénieur en Biologie.
Je garde 1001 bons souvenirs de ces 5 années passionnantes mais je ne saurais vous raconter toutes les fois où je me suis sentie, à nouveau, totalement désaxée.
Aux soirées étudiantes, tout le monde buvait jusqu’à flirter avec le coma éthylique, moi j’embrassais la pleine sobriété.
Après les cours, la plupart des étudiant(e)s partaient boire des coups ou chiller, moi je faisais du Karaté à haute dose de Kata et de Kumité.
L’été, tout le monde faisait un stage dans l’entreprise de papa ou d’à côté, moi je me suis battue pour partir à l’étranger et j’ai filé 3 mois en Afrique du Sud dans un centre de recherche en virologie.
La 4e année, tout le monde devait s’engager dans une majeure et s’y tenir. Moi j’en ai pris 2 quitte à avoir le double de travail, parce que je ne voulais PAS choisir. Au bout de quelques mois, j’en ai jeté une et j’ai gardé l’autre : le marketing :)
La dernière année, tout le monde rêvait de recevoir une offre d’embauche après son stage de fin d’études pour gagner de la thunes et se caser ; moi j’en ai reçu une magnifique mais je l’ai refusée et je suis partie au Canada faire un MBA.
Au Canada, j’ai participé à un programme de Missions Commerciales dans lequel il fallait que je choisisse une destination parmi 3 (j’ai choisi l’Inde) puis convaincre une entreprise québécoise de me financer une mission de 3 semaines pour son compte. La promo entière a trouvé sa mission assez vite en allant au plus court, au plus simple et au plus confortable.
J’étais la dernière en lice. Tout le monde était mal à l’aise pour moi et avait peur que je reste sur le carreau.
Je ne voulais ni jouer avec le feu ni faire la fine bouche. Mais je ne voulais pas non plus avoir autant bossé pour accepter n’importe quelle mission claquée. Et mon bagout a payé. J’ai obtenu la mission de mes rêves, avec des entrepreneurs d’une envergure intellectuelle et humaine que je n’oublierai jamais. Nutrableu, si vous un jour vous me lisez ? 🫐
De retour en France, la crise de l’emploi frappait les jeunes diplômés de plein fouet. On me disait alors qu’il fallait que je sois raisonnable, que j’oublie mes rêves, que je prenne n’importe quel boulot, commercial de préférence — pour “accumuler de l’expérience et remplir mon cv”.
J’ai refusé et je me suis engagée dans l’armée.
J’ai commencé par suivre une formation initiale pour officiers d’un mois dont je suis sortie 1e au classement final.
Puis j’ai suivi une formation générale de 2 mois dont je suis sortie 3e, quelques dixièmes de points derrière 2 garçons qui étaient des cadors en sport. J’ai appris un peu plus tard que la Commandant de promo, Virginie Guyot, ex cheffe de la patrouille de France, avait espéré en secret que je sois la 1e femme à sortir en tête d’une promo d’officier sous contrats. Dommage.
J’ai ensuite passé 18 mois dans une unité de la Base aérienne de Creil où j’ai vécu un calvaire. Les officiers subalternes de l’unité voyaient mon arrivée d’un mauvais oeil. Je réfléchissais, j’étais sportive, j’étais bilingue — et j’étais une femme. Je n’avais rien pour plaire, tout pour déranger.
Je me sus extirpée de cette expérience amère et en apnée. Dégoûtée. Épuisée.
J’étais brisée et je me demandais si je pourrais bien un jour trouver ma putain de place quelque part.
Sonnée, au bord de la dépression, à ce moment là je ne réfléchis plus, je choisis de faire du sport tous les jours. Je cours.
Je me lance dans des compétitions, je rencontre des gens et je me retrouve naturellement à les rassembler pour les motiver. Courses en équipe, entrainements, défis. Ce “community management” IRL me donne une idée : créer un blog pour raconter ce que je vis avec le sport et fédérer beaucoup plus de monde encore. Coup de foudre pour Internet.
Je crée la marque “Hotsteppers”. Je la dépose à l’INPI. J’achète le nom de domaine. Je construis mon blog sur Wordpress après des jours et des nuits de lectures de tutos et de brasse coulée dans des forums spécialisés.
Mon blog est basique et la DA pique, mais je suis lue vite et de plus en plus.
Un jour, un groupe de sport américain me repère et me demande de mettre en place tous leurs réseaux sociaux et leur stratégie edito. Ils ont 3 marques dont une 4e qu’ils viennent de racheter et qui semble prometteuse : Altra Running.
Pendant 5 ans je fais un boulot de dingue. Je donne vie à des marques qui n’étaient jusque là que des noms avec des produits et des prix. Je crée des conversations en ligne. Je nourris des relations. J’alimente ce que l’on appelle des “love brands”. Je ne vois ni le marketing, ni l’écriture, ni les réseaux sociaux autrement. Je veux de l’humain ou rien.
Et puis un matin, après de longs mois de symptômes pelviens douloureux et invalidants, le diagnostic tombe : j’ai de l’endométriose.
Mes boss ne me croient pas. Ils me voient comme une simulatrice qui ne gère plus le stress d’une “boite ambitieuse”. Je vis un électrochoc.
Je réalise que je bosse depuis 5 ans pour des machines sans âme qui ne croient ni en ce qu’ils font, ni en ce qu’ils vendent, ni en l’humain. Leur dieu ultime n’a de visage que celui de l’argent qui rentre.
Quoiqu’il en coûte de la casse environnementale induite par leurs productions en Chine. Quoiqu’il en coûte de la perte de sens phénoménale et des nombreux burn out/ dépressions de leurs employés. Quoiqu’il en coûte des désirs et des besoins de leurs clients qui veulent vivre mieux grâce au sport.
Seule Altra échappe à cette spirale. Mais Altra se fait racheter par bien plus grand (VF Corp). Altra part.
C’est pour moi le moment où jamais ; partir aussi où m’engouffrer dans un système morbide. Mon corps clignote dans tous les sens et me crie : pars ! C’est ce que je fais.
En 2019, je crée la marque Bend it Like Socrate et je deviens freelance.
Une nouvelle histoire commence !
Au début je fais des prestas super bien payées pour des entreprises, des agences, des fédérations sportives. Je goûte à la joie de faire ce que je fais de mieux, sans boss toxique, sans devoir négocier mes prix, sans devoir justifier ma valeur — tout en gérant les difficultés physiques de l’endométriose et la douleur.
Mais je réalise après 1 année que je fais presque la même chose qu’en entreprise. Et je sais que je n’ai pas quitté le salariat pour ça.
Je mets mes idées à plat. J’écris mon 1er livre. Je créer mes 1ers programmes de coaching et je me lance dans une toute autre vision : transmettre aux entrepreneur(e)s ce que j’ai appris de plus grand, de plus beau et de plus fort dans l’écriture en ligne, pour leur permettre de prendre le parole avec Force et style sur le web, les réseaux sociaux (et dans la vie).
Je ne vais pas vous mentir. J’ai creusé un sillon dont je suis fière. Pourtant, souvent encore je me demande ce que je fous là.
Quand je vois les gens se ruer sur les IA pour écrire à leur place.
Quand je vois le marché des templates et des bootcamps aseptisés carburer.
Quand je vois la viralité de posts qui sont à chialer de vacuité.
J’ai envie de capituler.
L’humanité est brassée, perturbée, bousculée.
Nous sommes face à des défis immenses : environnementaux, sanitaires, économiques, politiques et sociétaux.
Nous sommes face à une révolution folle : l’IAG (Intelligence Artificielle Générale).
Nous sommes confrontés à toutes sortes d’urgence, d’excès et de saturations.
Dans ce brouhaha, nous perdons nos capacités d’attention.
Et pourtant. Et pourtant. Et pourtant.
Quand on prend le temps de lire, d’écrire et de penser : la lumière jaillit.
Je vois qu’il existe dans notre monde, des millions de femmes et d’hommes qui ont l’esprit clair et le désir vif de bien vivre et de bien faire.
J’en ai la preuve tous les jours et je l’ai eue cette semaine encore quand Carlos Diaz, multi entrepreneur Tech et créateur du talk show Silicon Carne a choisi de me citer seule, au coeur de sa dernière newsletter.
Dans ce que l’on peut qualifier de lettre ouverte à un monde de la tech parfois aveuglé par l’obsession du progrès autant qu’à un monde anti tech qui semble dans le déni, Carlos écrit :
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“Si l'establishment intellectuel français semble avoir renoncé à proposer une vision alternative du progrès, une lueur d'espoir vient paradoxalement du quidam français qui, lui, commence à réfléchir par lui-même aux enjeux de cette révolution.
Une voix comme celle de Marie Gaymard résonne avec une lucidité particulière, loin des postures idéologiques stériles qui paralysent le débat public.
Si l'IA fera sans doute beaucoup de choses à notre place, nous dit-elle, elle ne pensera pas à notre place. Non par limitation technique mais par une nécessité profondément humaine : nous ne pouvons pas, nous ne voulons pas, abandonner notre capacité à penser par nous-mêmes.
(…)
L'industrialisation de l'alimentation n'a pas tué la haute cuisine, elle l'a rendue plus précieuse. De même, l'automation du contenu par l'IA ne tuera pas la pensée humaine - elle la rendra plus rare, plus recherchée, plus appréciée. Et peut-être que cette renaissance de la pensée viendra non pas des grands intellectuels mais des individus qui, comme Marie, osent penser par eux-mêmes, loin des postures convenues.”
- L’article entier.
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Moi qui suis curieuse de tout mais qui ressens un sentiment d’étrangeté et de non appartenance fulgurant au sein des communautés Tech, j’ai réalisé une chose.
Se sentir à sa place est une quête universelle. C’est même la quête de toute une vie. Mais il y a quelque chose que l’on ne nous apprend ni assez à l’école, ni assez à l’âge adulte.
Quand on ne trouve pas sa place, il reste une solution discrète et merveilleuse : la prendre.
C’est ce que je fais chaque jour en écrivant, ici, sur Linkedin, et ailleurs.
C’est ce que je fais chaque jour en accompagnant des entrepreneurs qui ont des choses à dire mais qui ne savent pas comment les écrire pour trouver leur voie au milieu du bruit.
C’est ce que je fais chaque jour en combattant imparfaitement mais avec le plus de justesse et de réalisme possible, la culture du raccourci, du moindre effort, de l’agitation et des promesses mensongères.
Si vous deviez retenir une seule chose de cette édition retenez ça :
Les IA remplaceront ce qui est remplaçable.
Or penser par soi même et savoir l’exprimer avec l’énergie de la chair et du sang est irremplaçable.
Cultivez votre plume. Musclez votre aptitude à dire. Développez votre art de raconter. Et vous n’aurez plus jamais besoin de “trouver votre place”.
Vous l’aurez créée.
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Marie 💙
Marie, je me retrouve tellement dans cette édition. Merci pour chacune de tes phrases 🙏🏻. Je vais créer ma place.
Merci Marie pour ce texte qui porte un souffle magistralement inspirant !