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“Mais j’t’avais dit qu’j’étais sauvage à vrai dire, j’suis pas très sage et tu vois bien ce que j’dégage. J’suis trop charismatique.” (Aya Nakamura)
Chères lectrices, Chers lecteurs,
Dans cette nouvelle édition septembrale, je vous promets une histoire courte et rafraichissante.
Nous allons parler de fraise 🍓
Pour celles et ceux qui connaissent bien le Linkedin game : ce n’est pas ce que vous croyez :)
Ce que je m’apprête à vous raconter pourrait bien changer votre regard sur une dimension puissante et bafouée : le “vocabulaire”.
En France, nous sommes culturellement attaché(e)s à l’idée de préserver notre langue, à ne pas trop la tordre ou la réinventer façon Nakamura, à ne pas trop l’angliciser, à en célébrer la richesse et la diversité.
C’est souvent une bonne chose (même si l’évolution d’une langue dite “vivante” me passionne plus qu’elle ne m’effraie).
Mais nous en oublions le plus important.
Avoir un vocabulaire riche n’est pas un pass statutaire. C’est un vecteur de liberté.
N’oubliez jamais que :
« Plus un humain peut “dire”, moins il a besoin de “détruire”. »
Un autre de mes adages dit aussi :
“Si vous avez les mots, vous avez les armes”.
Les armes de bâtir vos idéaux et de contribuer au monde.
Dans l’histoire de fraise qui suit, je vous confie un volet de ma toute première expérience professionnelle.
Ce jour-là, pour la première fois, je me suis retrouvée à court de mots.
Je me suis retrouvée sans voix.
Je me suis retrouvée murée dans le silence.
Et ce jour-là aussi, je me suis juré que plus jamais je ne manquerais de vocabulaire, dans la langue de Shakespeare comme dans celle de Molière.
✊ En avant la langue riche.
Cette semaine chez BILS 💙 :
Janvier 2025 : réservez un coaching individuel d’écriture sur Linkedin
24 octobre au 13 novembre : dernières places pour le 6e Challenge d’écriture sur Linkedin
Septembre : des posts inhabituels sont en cours et vous êtes nombreux/ses à les lire ! Merci 💙 → suivez-moi sur Linkedin
👩🔬 C’était un laboratoire de formulation accueillant.
Pas le genre de pièce blanche plombée par des odeurs de Bétadine comme à l’hôpital. D’ailleurs, nous n’étions pas du tout à l’hôpital mais dans les locaux de l’immense tour Bayer proche du Parvis de la Défense.
Je devais enchaîner un train de banlieue, quelques stations de la ligne 1 et 15 min de marche pour me rendre sur mon lieu de travail chaque jour.
Au début j’étais en stage de fin d’études puis au bout de 6 mois, j’ai gagné le droit d’être salariée et d’exister officiellement dans l’équipe marketing de mon employeur qui était un grand fournisseur d’arômes pour l’industrie “dairy & ice cream” (produits laitiers et glaces) Europe.
Vous savez, dans les cosmétiques on parle de “parfums”. Dans l’agroalimentaire, on parle “d’arômes”.
La 1e industrie est plus glamour que la 2e parce que l’on identifie plus aisément une crème de jour à un produit de luxe, qu’un yaourt, mais l’approche était la même.
→ Il y avait des aromaticien(ne)s qui développaient toutes sortes d’arômes ou de “goûts”, si vous voulez un terme encore plus explicit.
→ Il y avait une équipe marketing qui étudiait les préférences gustatives des consommateurs par pays européen et par âge.
→ Il y avait une équipe R&D qui créait chaque jour de nouveaux échantillons de yaourts et de glaces à partir des créations gustatives de l’équipe d’aromaticien(ne)s.
→ Et il y avait une équipe commerciale qui se rendait chez des grands comptes de l’industrie (Danone, Nestlé, etc.) pour leur proposer les dits échantillons, en vue de leur vendre l’arôme qu’ils mettaient en avant.
Moi qui finissais mes études d’ingénieure en bio industries et qui avais choisi la majeure marketing, je me retrouvais “à l’interface” (je l’ai répété souvent ce mot) de tout ce monde-là.
A la fois très branchée R&D, blouse blanche, essais labo, chimie alimentaire ; marketing créatif et ventes quand il fallait se déplacer chez le client.
Le seul truc que je maîtrisais moins était la création aromatique.
C’est là que notre histoire atteint son pic.
Un jour, alors que je finissais une présentation “power point” sur une nouvelle gamme de produits laitiers “santé mais gourmands”, ma boss italienne de l’époque vient me voir à mon bureau :
“Marie, tu dois descendre au labo, on goûte les fraises”.
(Imaginez cette phrase avec de grands mouvements de mains et l’accent italien).
Je savais que l’équipe arômes passait ses journées à goûter des produits comme les équipes parfums passent leurs journées à sentir des échantillons, mais je n’avais pas l’habitude de prendre part à ces rituels hautement qualifiés et techniques. Pourtant …
J’ai toujours eu un odorat ultra développé.
Je suis capable de sentir :
Le parfum de quelqu’un à travers une porte, avant même qu’il ait sonné.
Le gaz resté ouvert dans les secondes qui suivent.
L’odeur d’acétone dans l’haleine de quelqu’un qui ne mange pas assez.
Mais “sentir” et “décrire”, ce n’est pas du tout la même chose.
Une chose est de percevoir, une autre est d’avoir les mots pour le dire.
Je suis donc là demande de ma boss et rejoins l’équipe en m’excusant un peu d’être là.
Le thème gustatif du jour est “la fraise”.
Sur le coup je suis plutôt soulagée et me dis que ce fruit est facile à sentir.
Malheur.
“La fraise” c’est une dénomination d’amateur(e) qui ne sait rien.
“La fraise” ça n’existe pas pour un(e) aromaticien(ne).
La raison est simple et passionnante :
Une fraise n’a ni le même goût ni la même odeur selon si elle est verte, mûre, trop mûre, chimique (façon tagada) ou si elle a reçu la rosée du matin, passé la nuit sous l’orage ou une journée sous la canicule.
Bref, j’exagère à peine.
Assise dans mon box de dégustation, je découvre une dizaine de petits bâtons de la taille d’un doigt, disposés devant moi.
Chacun de ces bâtons est étiqueté avec le type de fraise auquel il correspond.
La boss de l’équipe technique vient alors me dire que je peux sentir chaque bâton et m’imprégner de “la fraise” correspondante.
18 ans plus tard je me rappelle de 3 noms de fraise (parmi des dizaines) :
“la fraise verte” (plutôt florale et fraîche de mémoire) ;
“la fraise aldéhydée” (plutôt mûre je crois)
“la fraise enfant” (plutôt chimique).
C’est dingue. À chaque fois : je sens bien l’odeur de la fraise, mais pas de la même manière.
Et quand la dégustation commence : je mesure l’ampleur de mon ignorance.
Nous devons goûter des produits laitiers à la fraise et décrire les types d’arômes de fraise de chaque échantillon.
Par exemple “ce yaourt est très fraise verte avec une pointe '“enfant” en fin de bouche”.
(Je dis n’importe quoi, ce sont mes souvenirs qui parlent mais je n’ai plus les termes exacts :) Si des aromaticien(ne)s ou nez me lisent : soyez indulgents, ça fait presque 2 décennies !)
Comme je viens de découvrir qu’il n’y a pas “un seul arôme fraise et-puis-c’est-tout” mais plein de variantes, je me retrouve à alterner frénétiquement entre les différents bâtons et la dégustation d’échantillons à proprement parler.
Je tente de décrire au mieux ce que je goûte.
Mais c‘est terriblement difficile.
Les aromaticien(ne)s ne sont pas seulement des personnes qui ont des papilles sur-développées. Tout comme les nez ne sont pas seulement des personnes qui ont un odorat sur-développé.
Je vous l’ai dit plus haut : mes sens gustatif et olfactif sont extrêmement fins.
Le problème, c’est que je n’ai PAS LES MOTS pour décrire ce que je goûte ou sens.
Ma langue sent bien l’odeur de “la fraise verte”, mais mon cerveau n’a pas appris que ce goût-là était associé à l’intitulé “fraise verte”.
Ma langue sent bien l’odeur de “la fraise enfant”, mais mon cerveau n’a pas appris que ce goût-là était associé à l’intitulé “fraise enfant”.
À la limite, je suis en mesure de faire des associations ordinaires et de dire "goût fraise tagada”, mais d’une ce n’est pas la dénomination officielle dans le milieu aromatique puisque “tagada” est une marque ; de deux, les associations ne sont pas toujours possibles et sujettes à bien trop de subjectivité pour être valables.
Cette histoire est le miroir absolu de ce qu’il se passe quand l’un(e) d’entre nous perçoit ou ressent quelque chose mais n’a pas les mots pour le dire.
C’est une DOULEUR.
L’indicible ne disparaît jamais. Il se transforme toujours, d’une manière ou d’une autre, en une forme de violence.
Je ne parle pas forcément de violence physique portée à autrui, mais de violence protéiforme, comme un sentiment d’incomplétude, un vide, une carence.
Quand vous ressentez 1000 choses mais que vous n’avez que 3 mots pour les décrire, vous souffrez.
Inexorablement.
Et vous devez comprendre que cela est valable dans la vie comme dans le business.
Avoir du vocabulaire n’est résolument pas une affaire de statut social ou de démonstration intellectuelle.
C’est une affaire de liberté.
Plus vous lisez, plus vous étoffez votre vocabulaire, plus vous pouvez écrire.
Et plus vous écrivez, plus vous pensez (avec Force et Style).
Tout cela est un cercle vertueux.
Ecrire sur les médias sociaux pour “avoir de l’impact” ne DOIT-PAS vous dispenser d’intelligence, de finesse et de nuance.
Attirer l’attention, persuader et vendre nécessite de la clarté, de la spécificité et du rythme.
Mais PAS de sacrifier son vocabulaire.
Tous les coachs, créateurs et autres spécialistes de l’écriture en ligne qui vous rabâchent à longueur de journée que vous devez écrire des textes compréhensibles par des enfants de 8 ans sont des assassins de la pensée.
Ils/elles confondent : langue pauvre et langue claire.
C’est mon combat avec Bend It Like Socrate (aka BILS) : réconcilier la langue et le business.
Réconcilier le vocabulaire et la clarté.
Réconcilier la communication et la sincérité.
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Le jour où j’ai vu cette équipe d’aromaticien(ne)s capables de décrire une bouchée de yaourt avec 50 nuances de fraise pendant que moi, j’étouffais derrière un seul mot, si générique, pour embrasser tout ce que je ressentais, je me suis juré de ne plus jamais manquer de vocabulaire.
Et pas seulement pour plaire.
A bientôt,
Marie 💙
PS : si vous voulez gagner en Force et du Style à l’écrit - prenez votre place pour le 6e Challenge d’écriture BILS - Il reste 4 places. et/ou offrez-vous un Coaching 1-1 de 90 jours - démarrage en janvier 2025.
PPS : conditions de relecture de cette missive assez favorables 🥰
J'adore :)
Oui le vocabulaire est l'arme de construction massive pour contribuer au monde :)
Manquer de mots c'est devoir se taire, souffrir de ne pas s'exprimer, être tu.
Oui c'est violent
OUI ! Vive la lecture encore et encore…